Deux groupes de patients sont utilisés pour étudier le seuil de douleur à la pression (SDP) au niveau de de l’épaule [1] :
- 30 patients présentant une épaule douloureuse unilatérale, avec une douleur évoluant entre 6 semaines et deux ans, d’une intensité > 50 mm sur une échelle visuelle analogique et sans traitement par antalgique ou acupuncture le mois précédent.
- 30 sujets servant de contrôle, sans pathologie du membre supérieur ni traitement antalgique ou acupuncture, chacun ayant été apparié pour le sexe, l'âge, l'origine ethnique et la main dominante à un patient.
Le seuil de douleur à la pression est étudié au niveau de cinq points de l’épaule : quatre points d’acupuncture (15GI, 14TR, 9IG et 11IG) et un non-point (2 cm en dessous du 11IG) [figure 1]. Le choix du non-point est justifié par le fait qu’à ce niveau la surface est plane, permettant une meilleure différenciation avec les points d’acupuncture environnants.
Les points sont marqués par un expert-acupuncteur et les mesures sont réalisées par un opérateur n’ayant pas de connaissance en acupuncture et ignorant à quel groupe appartient le patient. Le SDP est mesuré par un algomètre électronique portable monté avec un piston à embout en caoutchouc de 1 cm2. [figure 1]. La pression sur chaque point est augmentée progressivement jusqu’à ce que le patient ressente une douleur, 3 mesures sur chaque point sont effectuées à deux minutes d’intervalle et la moyenne est calculée.
Sur l’ensemble des sujets il est ainsi possible de déterminer et comparer le SDP moyen au niveau de chaque point : chez les patients 1) au niveau de l’épaule malade et 2) au niveau de l’épaule controlatérale et chez les sujets de contrôle 3) au niveau de l’épaule ipsilatérale au patient apparié.
Au niveau du non-point aucune différence statistique n’est observée entre épaule malade, épaule controlatérale (patients) et épaule ipsilatérale (sujet contrôle).
Pour chacun des quatre points d’acupuncture, le SDP est significativement abaissé chez les patients au niveau de l’épaule malade comparativement à l’épaule controlatérale. Mais le SDP au niveau de l’épaule controlatérale est lui-même abaissé par rapport à l’épaule ipsilatérale des sujets contrôle.
Ces résultats sont interprétés comme le témoin d’un double phénomène de sensibilisation au niveau des points d’acupuncture :
- Une sensibilisation périphérique, mise en évidence par la différence entre épaule malade et épaule controlatérale chez les patients (baisse locale du seuil de la douleur à la pression) ;
- Une sensibilisation centrale, mise en évidence par la différence entre épaule saine chez les patient et épaule ipsilatérale chez les sujets appariés (baisse diffuse du seuil de la douleur à la pression chez le sujet malade).
Le phénomène de sensibilisation périphérique parait spécifique au point d’acupuncture ne s’observant pas sur le non-point. Cela est corroboré par une série d’études, sans référence à des points d’acupuncture, montrant une absence de différence du SDP entre côté malade et côté sain dans l’impingement syndrome [2], l’épicondylite [3-5], le canal carpien [6], la migraine [7], ou encore la dysfonction temporo-mandibulaire [8-10]. Seule une étude dans l’épaule douloureuse montre une sensibilisation périphérique [11].
Par contre, le phénomène de sensibilisation centrale est d’observation courante dans de nombreuses pathologies [12].
Pour affiner la description clinique des phénomènes de sensibilisation, les auteurs de l’étude déterminent pour chaque point un index de sensibilisation périphérique (peripheral sensitisation index, PSI) et un index de sensibilisation centrale (central sensitisation index (CSI). Une sensibilisation périphérique au niveau d’un point est considérée comme présente si la valeur du SDP du côté douloureux est en dessous du 25e centile de celui du côté non douloureux (75% des valeurs du côté non douloureux sont au-dessus). De même, une sensibilisation centrale au niveau d’un point est considérée comme présente si la valeur du SDP du côté non-douloureux est en dessous du 25e centile de celui du côté ipsilatéral chez les sujets contrôles.
C’est ainsi, par exemple, qu’au niveau du 15GI, 43% des patients ont une sensibilisation périphérique, 63% une sensibilisation centrale et 40% à la fois une sensibilisation à la fois centrale et périphérique [figure 2]. On observe une corrélation entre les trois points 15GI, 14TR et 9IG. Les auteurs observent qu’il s’agit là d’une combinaison classique de points couramment appelée « les trois points de l’épaule ». Le phénomène de sensibilisation ne parait pas relié à l’ancienneté de la douleur ni à son intensité.
Dans la recherche sur la réalité et la nature des points d’acupuncture leur analyse clinique et fonctionnelle, chez les sujets malades comme chez les sujets sains, est à prendre en considération. La question de la relation entre points d’acupuncture – point douloureux (ashi) – points gâchette (trigger points) est alors centrale.
Dr Johan Nguyen
Références
- Yan CQ, Zhang S, Li QQ, Zhang LW, Wang XR, Fu QN, Shi GX, Liu CZ. Detection of peripheral and central sensitisation at acupoints in patients with unilateral shoulder pain in Beijing: a cross-sectional matched case-control study. BMJ Open. 2017;7(6). [195476] . | doi |
- Alburquerque-Sendin F, Camargo PR, Vieira A, Salvini TF. Bilateral myofascial trigger points and pressure pain thresholds in the shoulder muscles in patients with unilateral shoulder impingement syndrome: a blinded, controlled study. Clin J Pain. 2013;29:478-86. [204363]. |doi|.
- Fernandez-Carnero J, Fernandez-de-las-Penas C, de la Llave-Rincon AI, Ge HY, Arendt-Nielsen L. Bilateral myofascial trigger points in the forearm muscles in patients with chronic unilateral lateral epicondylalgia: a blinded, controlled study. Clin J Pain. 2008;24:802-7. [204293]. |doi|.
- Ruiz-Ruiz B, Fernández-de-Las-Peñas C, Ortega-Santiago R, Arendt-Nielsen L, Madeleine P. Topographical pressure and thermal pain sensitivity mapping in patients with unilateral lateral epicondylalgia. J Pain. 2011;12(10):1040-8. [208653]. |doi|.
- Fernandez-Carnero J, Fernandez-de-Las-Penas C, de la Llave-Rincon AI, Ge HY, Arendt-Nielsen L. Widespread mechanical pain hypersensitivity as sign of central sensitization in unilateral epicondylalgia: a blinded, controlled study. Clin J Pain. 2009;25:555-61. [157804]. |doi|.
- Fernandez-de-las-Penas C, de la Llave-Rincon AI, Fernandez-Carnero J, Cuadrado ML, Arendt- Nielsen L, Pareja JA. Bilateral widespread mechanical pain sensitivity in carpal tunnel syndrome: evidence of central processing in unilateral neuropathy. Brain. 2009;132:1472-79. [205605]. |doi|.
- Burstein R, Yarnitsky D, Goor-Aryeh I, Ransil BJ, Bajwa ZH. An association between migraine and cutaneous allodynia. Ann Neurol. 2000;47:614-24. [205606]. |doi|.
- Fernandez-de-las-Penas C, Galan-del-Rio F, Fernandez-Carnero J, Pesquera J, Arendt-Nielsen L, Svensson P. Bilateral widespread mechanical pain sensitivity in women with myofascial temporomandibular disorder: evidence of impairment in central nociceptive processing. J Pain. 2009;10:1170-78. [205814]. |doi|.
- Maixner W, Fillingim R, Sigurdsson A, Kincaid S, Silva S. Sensitivity of patients with painful temporomandibular disorders to experimentally evoked pain: evidence for altered temporal summation of pain. Pain. 1998;76:71-81. [204221]. |doi|.
- Sarlani E, Greenspan JD. Evidence for generalized hyperalgesia in temporomandibular disorders patients. Pain. 2003;102:221-6. [171854]. |doi|.
- Coronado RA, Kindler LL, Valencia C, George SZ. Thermal and pressure pain sensitivity in patients with unilateral shoulder pain: comparison of involved and uninvolved sides. J Orthop Sports Phys Ther. 2011;41(3):165-73. [208648]. |doi|.
- Noten S, Struyf F, Lluch E, D'Hoore M, Van Looveren E, Meeus M. Central Pain Processing in Patients with Shoulder Pain: A Review of the Literature. Pain Pract. 2017;17(2):267-80. [156244]. |doi|.
Mots-clés : Douleur - Points - Rhumatologie