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19- L’acupuncture dans l’arthrose périphérique : des recommandations positives de l’American College of Rheumatology qui posent question

L’American College of Rheumatology (ACR) a actualisé en 2019 [1] ses dernières recommandations datant de 2012 [2]. Pour ce faire l’ensemble de la littérature a été analysée en incluant les publications en anglais et publiées avant le 1er août 2018. A partir des données ainsi recueillies, l’ARC a réalisé sa propre revue systématique plutôt que de simplement prendre en compte les revues ou méta-analyses déjà publiées, ce qui avait été le cas pour les recommandations de 2012. La méthode GRADE a été utilisée pour évaluer la qualité des preuves et des recommandations fortes ou conditionnelles, en faveur ou contre sont énoncées pour chacune des thérapeutiques analysées. 

Comme en 2012 l’acupuncture apparait avec une recommandation positive pour le genou, mais étendue cette fois à la main et à la hanche (figure 1).  Notons que des  recommandations négatives sont énoncées vis-à-vis d’un ensemble de thérapeutiques dont le TENS, les massages et thérapies manuelles ou les injections intra-articulaires d’acide hyaluronique. Le fait de figurer dans les recommandations positives est en soi un élément important puisqu’il témoigne d’un niveau de preuve suffisant pour une utilisation dans un système de soins, et ce sur une pathologie d’impact important en termes de santé publique. 

Mais l’acupuncture apparait avec des recommandations conditionnelles, ce qui avait également été le cas en 2012. Son niveau de preuve est donc jugé inférieur aux thérapeutiques à recommandations fortes comme les orthèses tibio-fémorales  ou l’injection intra-articulaire de corticoïdes. Les recommandations fortes sont énoncées quand les preuves d’efficacité sont jugées  convaincantes et quand les bénéfices l’emportent clairement sur les risques. Les  recommandations conditionnelles sont énoncées lorsque le niveau de preuve est jugé faible ou très faible et/ou que la balance bénéfice risque ne permet pas une conclusion suffisamment claire. 

A l’analyse, le niveau de preuve attribué à l’acupuncture comparativement aux thérapeutiques à recommandations fortes pose question.  Les données précises de la revue systématique de l’ACR sont  publiées dans deux annexes à l’article de base qui ne présente qu’un bref commentaire non détaillé. 

Concernant l’acupuncture (pico 27 page 104 supp 2 [1]), l’arthrose du genou est documentée avec 12 ECR. Une méta-analyse regroupant 7 essais versus acupuncture factice montre « un petit mais statistiquement significatif bénéfice de l’acupuncture sur le placebo sur le WOMAC domaine douleur et domaine fonction à 6-12 semaines mais avec une très forte hétérogénéité entre les études ».  L’acupuncture est ainsi classée en preuve basse selon la méthode GRADE interprétée par l’ACR.

Figure 1.  Thérapeutiques recommandées par l’American College of Rheumatology pour l’arthrose de main, genou et hanche. Sur fond vert : les recommandations fortes, sur fond blanc : les recommandations conditionnelles.

Concernant les injections intra-articulaires de corticoïdes la revue de  l’ACR (pico 46 page 182 supp 2 [1]) est basée sur 6 essais versus injection de sérum salé. Mais aucune méta-analyse n’est conduite à l’exception des WOMAC domaine douleur et domaine fonction à deux ans qui se révèle  négative. L’analyse sur les différents critères n'est donc faite à chaque fois que sur un seul ECR dont l’effectif maximum est de 84 patients. Aucun résultat positif n’est mis en évidence sur la fonction. Les injections intra-articulaires de corticoïdes sont classées en preuve basse selon la méthode GRADE interprétée par l’ACR.  Pourtant au final, cela se traduit par une recommandation forte et l’énoncé :  « Les essais avec l’injection intra-articulaire de glucocorticoïdes ont démontrés leur efficacité à court terme dans l’arthrose du genou ».

Si on analyse plus en détail les données sur les six essais inclus pour les injections, seuls deux sont sans risque de biais concernant la randomisation (sur séquence d’attribution) et ces deux essais sont négatifs alors que pour l’acupuncture l’ensemble des huit essais sont sans risque de bais sur le même critère [3].

Dans le rapport final la phrase alambiquée suivante occupe la plus grande partie du paragraphe concernant les injections intra-articulaires de corticoïdes : « une publication récente a soulevé la possibilité que des préparations spécifiques de stéroïdes ou une certaine fréquence d'injections de stéroïdes puissent contribuer à une perte de cartilage, mais le groupe de cotation [Voting Panel] n'était pas certain de la signification clinique de cette constatation, d'autant plus que le changement d'épaisseur du cartilage n'était pas associé à une aggravation de la douleur, du fonctionnement ou d'autres caractéristiques radiographiques ». Il est fait référence à une étude publiée dans le JAMA en 2017, qui est l’étude la plus importante (140 patients) et méthodologiquement la mieux conduite [4], et que  le groupe de cotation prend donc soin de récuser. Elle montre une perte de cartilage significative après 2 ans, et une absence d’effet sur la douleur et la fonction à tous les temps de l’évaluation. En somme la perte de cartilage serait d’intérêt négligeable dans la mesure où elle n’est pas corrélée à une aggravation clinique, mais seulement à une absence d’efficacité !

Concernant l’acupuncture l’article énonce : « Bien qu'un grand nombre d'essais aient porté sur l'utilisation de l'acupuncture dans l'arthrose, son efficacité reste un sujet de controverse. Des questions relatives à l'utilisation d'un aveugle approprié, à la validité des contrôles placebo, à la taille de l'échantillon, à la taille de l'effet ont été soulevées à propos de cette littérature…. Bien que l’amplitude du « vrai » effet [effet spécifique de l’acupuncture] soit difficile à discerner, le risque de préjudice est mineur, ce qui a conduit le groupe de cotation à formuler une recommandation conditionnelle ».

C’est-à-dire que l’acupuncture n’est pas évaluée sur la base des données objectives effectivement disponibles, mais à l’aune d’une controverse qui rendrait, par nature, impossible toute conclusion sérieuse sur son efficacité « vraie ». Les essais cliniques mettent clairement en évidence un effet spécifique dans la gonarthrose, mais il est alors évoqué une amplitude « difficile à discerner », énoncé qui traduit l'embarras des experts.

Les preuves de l’efficacité de l’acupuncture dans la gonarthrose (recommandation conditionnelle) paraissent bien plus solides que celle des injections intra-articulaires de corticoïdes (recommandation forte). Cela illustre bien le paradoxe de l’EBM qui par un processus complexe cherche à affranchir la pratique du simple avis subjectif d’expert pour la fonder sur des preuves solides. Mais au final l’énoncé de la solidité des preuves reste étroitement soumis à l’interprétation subjective des experts avec leurs présupposés et leurs potentiels conflits d'intérêt.

Figure 2. Le paradoxe de l’EBM qui vise à s’extraire de l’avis subjectif d’expert qui est le plus bas niveau de preuve pour fonder la pratique sur des preuves solides. Mais  au final  la solidité des preuves est soumise à l’avis subjectif d’expert.

Dr Johan Nguyen

Références


  1. Kolasinski SL, Neogi T, Hochberg MC, Oatis C, Guyatt G, Block J, Callahan L, et al. 2019 American College of Rheumatology/Arthritis Foundation Guideline for the Management of Osteoarthritis of the Hand, Hip, and Knee. Arthritis Rheumatol. 2020. [175069].  |doi|.
  2. Hochberg MC, Altman RD, April KT, Benkhalti M, Guyatt G, McGowan J, Towheed T, Welch V, Wells G, Tugwell P; American College of Rheumatology. American College of Rheumatology 2012 recommendations for the use of nonpharmacologic and pharmacologic therapies in osteoarthritis of the hand, hip, and knee.Arthritis Care Res (Hoboken). 2012 Apr;64(4):465-74. [165333].  |doi|.
  3. Vickers AJ, Vertosick EA, Lewith G, MacPherson H, Foster NE, Sherman KJ, Irnich D, Witt CM, Linde K; Acupuncture Trialists' Collaboration. Acupuncture for Chronic Pain: Update of an Individual Patient Data Meta-Analysis. J Pain. 2018;19(5):455-74.   [168043].  |doi|.
  4. McAlindon TE, LaValley MP, Harvey WF, et al. Effect of Intra-articular Triamcinolone vs Saline on Knee Cartilage Volume and Pain in Patients With Knee Osteoarthritis: A Randomized Clinical Trial. JAMA. 2017;317(19):1967-75.   [205625].  | doi |
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Mots-clés : Institutions - Recommandation de bonne pratique - Rhumatologie


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