
Ces dernières années ont vu une progression considérable, quantitative et qualitative des données probantes en acupuncture (essais contrôlés randomisés et revues systématiques). Un élément tout particulier à mettre en avant sont les recommandations de bonne pratique (RBP) des sociétés savantes et institutions médicales nationales et internationales.
Ces recommandations sont élaborées sur la base d'une analyse méthodologiquement définie de la littérature scientifique [1]. Elles réalisent une synthèse et une évaluation des données probantes à un moment donné avec un objectif pragmatique et décisionnel. Il s'agit d'une expertise collective dans le domaine particulier de compétence des sociétés savantes ou des experts concernés.
Toute étude, essai contrôlé randomisé ou méta-analyse peut être porteur de biais et être matière à discussion. Les groupes "sceptiques" ne s'en privent pas pour dénigrer systématiquement, à l'aide de la classique méthode hypercritique, toute publication positive sur l'acupuncture [2]. Mais dans le cadre des RBP la discussion porte sur un ensemble de thérapeutiques au sein duquel l'acupuncture n'est qu'un élément. Elle n'est pas le sujet central et cela permet une première mise à distance de la controverse.
Ces RBP peuvent bien sûr elles-mêmes faire l'objet de fortes critiques et c'est le cas pour certaines d'entre elles dans le champ de la médecine "conventionnelle" [3]. Mais en comparant les diverses RPB sur une même pathologie on peut facilement relever les points de consensus au sein de diverses institutions médicales et effectuer une nouvelle mise à distance de la controverse.
Dans la pyramide des preuves de l'EBM, les RBP tendent à être placées au sommet en tant que synthèse collective des meilleures données disponibles (fig. 1).

Recommandations en rhumatologie (2016-2021)
Nous avons utilisé les RBP dans le domaine de la rhumatologie recensées par le Centre de Preuves en Acupuncture (CPA). Le CPA inclut, avec un objectif d'exhaustivité, toutes les RBP qui abordent et analysent la question de l'acupuncture. Dans ces RBP, l'acupuncture peut être ainsi énoncée comme :
- recommandée ⊕ , l'acupuncture est énoncée comme une option thérapeutique possible dans la pathologie considérée.
- non recommandée Ø, l'acupuncture n'est pas énoncée comme option thérapeutique par absence de données, données insuffisantes ou non probantes.
Compte tenu de l'évolution continue des données scientifiques, notre analyse porte sur les RBP publiées ces six dernières années (2016-2021). Une étude montre que des modifications significatives dans les résultats des revues systématiques peuvent être observées en moyenne tous les 5.5 ans et que les données nécessitent donc une actualisation régulière [4].
Après la neurologie, la rhumatologie est la discipline qui fait l'objet du plus grand nombre de publication en acupuncture (25%) [5].
Pathologies et recommandations de l'acupuncture
Au total sont identifiées par le CPA :
- 91 recommandations avec une analyse de l'acupuncture ;
- dans 23 pathologies du domaine rhumatologique (un même document peut porter sur plusieurs pathologies) ;
- énoncées par 47 institutions différentes (un même document peut être élaboré conjointement par différentes institutions).
- issues d'institutions de 14 pays (un même document peut être élaboré conjointement par des institutions de différents pays) et de 2 institutions internationales.
Nous avons exclu les RBP émises par des sociétés savantes d'acupuncture, de médecine chinoise ou orientale. Nous avons conservé les RBP d'une société chiropratique du Canada dans la mesure où elle était coproduite avec une société de rhumatologie.
L'acupuncture est ainsi recommandée comme option thérapeutique dans 75,5% des RBP contre 24,5% où l'acupuncture est non recommandée (tableau I ci-dessous).
Pathologie | Recommandation de l'acupuncture ⊕ | Non recommandation Ø |
---|---|---|
Arthrose | ||
Douleurs musculo-squelettiques | ||
Fibromyalgie | ||
Rhumatisme psoriasique | ||
Goutte | | |
Arthrose de la main | ||
Syndrome du canal carpien | ||
Épaule douloureuse | ||
Epaule gelée | ||
Arthrose de l'épaule | ||
Douleurs rachidiennes | ||
Cervicalgies aiguës | ||
Cervicalgies | ||
Névralgie cervico-brachiale | ||
Canal lombaire étroit | ||
Lombalgies aiguës | ||
Lombalgies et lombalgies chroniques | ||
Syndrome facettaire lombaire | ||
Sciatique | ||
Arthrose de hanche | ||
Genou douloureux | ||
Syndrome fémoro-patellaire | ||
Entorse de la cheville | |
Pays, institutions et recommandations de l'acupuncture
Les RBP sont issues de 14 pays et de 2 institutions internationales (tableau II). Sur les 14 pays, 12 (85%) émettent au moins une RBP en faveur de l'acupuncture en rhumatologie. Seule la France et les Pays-Bas n'ont pas de recommandation positive, mais avec une seule RBP dans le domaine. Il apparait ainsi un large consensus international faisant une place à l'acupuncture dans l'arsenal thérapeutique.
Les RBP sont issues de 46 institutions différentes. 18 sont concernées par une non recommandation dans une pathologie. Sur ces 18, 10 émettent par ailleurs une recommandation positive dans une autre pathologie. Par exemple, l'association US des chirurgiens orthopédiques (AAOS) recommande l'acupuncture pour le genou arthrosique mais non pour le canal carpien. Ainsi sur 46 institutions, 83% émettent au moins une recommandation positive pour l'acupuncture. Il apparait un large consensus scientifique au sein des institutions médicales pour considérer l'acupuncture comme une option thérapeutique possible et valable en rhumatologie.
Pays | nombre total | recommandation | non recommandation |
---|---|---|---|
45 | 36 | 9 | |
11 | 11 | 0 | |
4 | 4 | 0 | |
4 | 2 | 2 | |
4 | 3 | 1 | |
5 | 2 | 3 | |
3 | 2 | 1 | |
5 | 2 | 3 | |
2 | 1 | 1 | |
3 | 3 | 0 | |
2 | 2 | 0 | |
1 | 0 | 1 | |
1 | 1 | 0 | |
1 | 0 | 1 | |
1 | 1 | 0 | |
Total | 91 | 69 | 22 |
Niveau de preuve scientifique et force des recommandations
Idéalement les RBP sont énoncées avec une force de recommandation (par ex. forte ou faible) et un niveau de preuve scientifique (par ex. niveau haut, modéré, faible ou très faible). Nous n'avons pas repris ici ces données :
- elles ne figurent pas toujours dans les documents,
- elles sont formulées sous des cotations non normalisées, non homogènes,
- il n'y a pas de relation automatique entre la recommandation ou la non d'une thérapeutique et son niveau de preuve. Une thérapeutique peut être recommandée par simple consensus professionnel (c'est à dire le plus bas niveau de preuve) ou récusée même si des revues systématiques ou des essais contrôlés randomisés positifs sont disponibles. Une recommandation n'est pas basée sur un niveau de preuve absolu, mais plutôt sur celui relatif des thérapeutiques disponibles dans la pathologie considérée.
On peut également observer que :
- Sur 748 recommandations de 10 guidelines australiens, seuls 18% sont d’un niveau de preuve I (revue systématique d'ECR). La plupart des énoncés "EBM" du domaine "conventionnel" sont ainsi fondés sur un faible niveau ou une absence de preuve [6].
- En 2019, seulement 5,7% des revues de la Cochrane sur la physiothérapie (largement indiquée dans le domaine de la rhumatologie) étaient conclusives (16/283) [7]. Pour l'acupuncture, le rapport INSERM (en 2014) identifiait 21,4% de revues Cochrane conclusives (9/42) [8].
- Sur 608 revues de la Cochrane: seules 9,9% des thérapeutiques sont fondées sur des preuves de haute qualité (GRADE) sur le critère principal, 53% sur des preuves de qualité faible ou très faible [9].
On peut toujours demander à l'acupuncture plus de preuves et du plus haut niveau. Mais il faut constater que les thérapeutiques du champ conventionnel ont le plus grand mal à atteindre le niveau exigé pour l'acupuncture.
L' analyse du niveau de preuve de l'acupuncture :
- doit se faire discipline par discipline et pathologie par pathologie ;
- comparativement à celui des autres thérapeutiques disponibles ;
- dans les mêmes comparaisons et particulièrement versus intervention placebo.
Dans ce cadre, on peut considérer que dans de multiples domaines l'acupuncture fait mieux, ou au pire aussi bien, que les autres thérapeutiques recommandées. La controverse sur l'acupuncture comme thérapeutique non validée n'a pas lieu d'être. On observe un décalage complet entre une affirmation péremptoire d'absence de preuve et les recommandations de l'acupuncture par les différentes sociétés savantes nationales et internationale.
Dr Olivier Goret et Dr Johan Nguyen
Références
- Niveau de preuve et gradation des recommandations de bonne pratique, Paris: Haute Autorité de Santé (HAS). 2013: 92P. [160886]. |URL|
- Nguyen J. Acupuncture : la figure tutélaire des « sceptiques » était une taupe de l’industrie du tabac. Acupuncture, Preuves & Pratiques. 2020. |URL|
- Conseil d’État, 1ère – 4ème chambres réunies, 04/12/2019, 423060. |URL|.
- Shojania KG, Sampson M, Ansari MT, Ji J, Doucette S, Moher D. How quickly do systematic reviews go out of date? A survival analysis. Ann Intern Med. 2007;147(4):224-33. [199605]. |doi|
- Huang QF, Xie C, Wu HG, Yang G, Liu J, Guo XC, Ma XP. [Spectrum and indications of acupuncture and moxibustion therapy based on bibliometric analysis]. Zhongguo Zhen Jiu. 2021 Sep 12;41(9):1055-9. |doi|
- Venus C, Jamrozik E. Evidence-poor medicine: just how evidence-based are Australian clinical practice guidelines? Intern Med J. 2020 Jan;50(1):30-37. [212137]. |doi|
- Momosaki R, Tsuboi M, Yasufuku Y, Furudate K, Kamo T, Uda K, Tanaka Y, Abo M. Conclusiveness of Cochrane Reviews in physiotherapy: a systematic search and analytical review. Int J Rehabil Res. 2019;42(2):97-105. [45088]. |doi|
- Barry C, Seegers V, Guegen J, Hassler C, Ali A, Falissard B. Evaluation de l’efficacité et de la sécurité de l’acupuncture. INSERM U669. 2014. [160626]. |URL|
- Howick J, Koletsi D, Pandis N, Fleming PS, Loef M, Walach H, Schmidt S, Ioannidis JPA. The quality of evidence for medical interventions does not improve or worsen: a metaepidemiological study of Cochrane reviews. J Clin Epidemiol. 2020 Oct;126:154-159. |doi|
Mots-clés : Institutions - Recommandation de bonne pratique - Rhumatologie
Pouvez-vous me communiquer si, dans votre base de données, le syndrome du piriforme a été évalué ?
Pouvez-vous me communiquer si, dans votre base de données, le traitement par acuponcture du syndrome du piriforme a été évalué ?. Ou autre technique MTC
m’envoyer l’information ciblée
je suis surpris de l’absence de recommandation de l’acupuncture dans la névralgie cervico brachiale –
il serait intéressant de lancer une étude (j’ai des résultats excellents )
D’accord avec vous : les névralgies cervico-brachiales sont une indication majeure de l’acupuncture. Comme les sciatiques d’ailleurs qui n’ont pas de recommandation positive sur les dernières années.
Mais je crois qu’il faut prendre le problème dans l’autre sens : ne pas se focaliser sur les non-recommandations, mais faire le constat d’une augmentation constante du nombre de pathologies avec recommandation positive, et au sein d’une pathologie la convergence progressive des avis. Sur les névralgies cervico-brachiales et les sciatiques, ce n’est sans doute que question de temps et de masse critique de données disponibles en langue anglaise.