142- Y a-t-il des points d’acupuncture sexués ? Les organes génitaux externes féminins.

La problématique

Nous nous sommes posés dans un précédent blog la question de la description de points d'acupuncture sexués localisés au niveau des organes génitaux externes et spécifiquement décrits chez l'homme ou chez la femme. Après les points au niveau masculin [1] nous abordons ici les points des organes génitaux externes féminins.

Mise en place

• Le périnée est une région en forme de losange orienté d'avant en arrière, limitée en avant par la symphyse pubienne et en arrière par le coccyx. Ce losange est divisé en deux triangles par une ligne transversale imaginaire passant par le 1VC et délimitant un triangle antérieur urogénital et un triangle postérieur anal. Le triangle anal est similaire chez l'homme et la femme.
• Le triangle urogénital comporte chez la femme le clitoris, la partie distale de l'urètre et le vestibule du vagin.

Identification des points

Les sources utilisées

• (LSH) : Li Su Huai 1976 , 6 points décrits [1].
• (LSY) : Lu Shouyan 1961, 6 points décrits [2].
• (G) : Guillaume 1995, 3 points décrits [3].
• (L) : Lin Shi Shan 2010, 3 points décrits [4].

Liste des points

Analyse des points

1- Guancun
關寸 Barrière à un cun.
- (LSY ) Dans la région du bas-ventre [trois points en triangle, un point médian en dessous de Longmen (6-) et deux points symétriques en dedans du point zigong] (voir schéma) .
- (LSY) Puncture de 0,5 à 0,8 cun. - (LSY) Moxa 3 à 7 cônes.
(LSY) Ejaculation nocturne, énurésie, pertes vaginales blanches ou rouges, douleurs abdominales, douleurs de hernie, menstruations irrégulières.

2- Yumen
育門 Porte de la fertilité.
- (LSY ) 7 cun sous l'ombilic et 3,5 cun latéralement.
- (LSY) Moxa 3 à 7 cônes.
- (LSY) Infertilité féminine après une longue période de mariage.

3- Quanmen
泉門 Porte de la source (L).
- Origine : Qian jin yao fang (G).
- (LSH) Au-dessous de la symphyse pubienne et légèrement au-dessus de la commissure antérieure des lèvres. - (LSY) Sous l'os pubien, à la limite supérieure de la vulve. - (G) Au sommet de la commissure antérieure de la vulve. - (L) Au-dessus de la jonction des grandes lèvres, proche du bord inférieur de l'os du pubis.
- (G) Puncture perpendiculaire entre 0,3 et 0,5 distance de profondeur. - (L) Puncture perpendiculaire 0.5-1 cun. Aiguilles en place 20 min. - (G) Moxibustion 5-10 min. ou moxa 1-3 cônes. - (LSH) Moxibustion 5-15 min., 5-10 cônes. - (LSY) Moxa 5-10 cônes. - (L) Moxa 5-10 cônes.
- (LSH) Stérilité, leucorrhée, hémorragie utérine. - (LSY) Aménorrhés, pertes blanchâtres ou rougeâtres. - (G) Stérilité, pertes rouges et blanches, irrégularités menstruelles, aménorrhée. Qian jin yao fang : « En cas de stérilité avec pertes blanches ou rouges, faire 100 cônes de moxa au niveau de Quanmen ; le résultat s'obtient après trois séances. » - (L) Leucorrhées blanches ou hémorragiques, stérilité féminine, troubles menstruels, aménorrhée, prolapsus utérin, infections urinaires.

4- Qianhuiyin ⚥
前会阴 Périnée antérieur [1VC antérieur].
- (LSH) : 0,5 cun au-dessus de la commissure antérieure des lèvres.
- (LSH) Puncture à 1,0-1,5 cun. ➡ contractions et engourdissement irradiant aux organes génitaux.
- (LSH) Maux de tête, gastrite aiguë, arthrite de l'épaule, lumbago, prolapsus de l'utérus, prolapsus de l'estomac, gonflement des testicules, arthrite, douleur.
Note : point décrit chez l'homme et chez la femme

5- Longmen
龙门 (龍門) Porte du dragon.
- Origine : Qian jin yao fang (G).
- (LSH) Au niveau de la commissure labiale antérieure. - (LSY) Sous l'os pubien, en dessous du point Quanmen, à la jonction des deux grandes lèvres. - (G) Au milieu du bord inférieur de la symphyse pubienne. Le Qian jin le situe sous Yuquan 3VC. Le Jing wai qi xue tu pu le localise à la commissure antérieure de la vulve. Selon le Jin xue tu kao, il se confond avec Quanmen [3-]. - (L) A la jonction des deux grandes lèvres.
- (LSH) Puncture oblique à 0,3 cun. - (LSY) Puncture 0,3 à 0,5 cun. - (G) Puncture oblique 0.5-1 cun. - (L) Puncture perpendiculaire 0.5-1 cun. - (LSH) Moxibustion 3-5 min. ou moxa 1-3 cônes. - (LSY) moxa 1- 3 cônes. - (G) Cautérisation ou moxibustion. - (L) Moxa 3-5 cônes.
- (LSH) Menstruations irrégulières, stérilité, prolapsus utérin. - (LSY) Menstruations irrégulières, infertilité prolongée chez les femmes mariées, prolapsus utérin. - (G) Chine contemporaine : Hémorragies utérines, énurésie, stérilité. Qian jin yao fang « En cas de prolapsus de l'utérus, faire 20 cônes de moxa sur Longmen ; le résultat s'obtient en trois séances. » - (L) Torpeur, incontinence urinaire, énurésie nocturne, rétention urinaire, infections urinaires, frigidité, vaginisme. Selon le Zhen Jiu Zi Sheng Jing , ce point traite en moxibustion la grossesse difficile consécutive à des fausses couches répétitives.

6- Yaolou
窈漏 Ecoulement subtil.
- (LSH) Légèrement en dessous du méat urétral. - (LSY) A proximité du méat urétral.
- (LSH) Moxibustion 5-15 min. - (LSY) Privilégier la moxibustion.
- (LSH) Pathologies cutanées vulvo-périnéales, démangeaisons vaginales, vaginite, prolapsus de l'utérus, folie. - (LSY) Démangeaisons génitales, pertes vaginales, troubles mentaux, prolapsus vaginal.

7- Yumentou
玉门头 Tête de la porte de jade (L). - (G) noms secondaires : Nuyinfeng, Guizang.
Origine : Qian jin yao fang (G).
- (LSH) Légèrement au-dessus de l'orifice vaginal. - (LSY) À l'extrémité supérieure de la vulve. - (G) Au niveau du clitoris, selon le Jing wai qi xue tu pu. - (L) Sur le gland du clitoris.
- (LSH) Puncture oblique 0.3 cun. - (LSY) Puncture 0,3 cun. - (G) Puncture 0.3 cun. - (L) Puncture perpendiculaire 0.3-0.5 cun sans laisser les aiguilles en place. - (LSH) Moxibustion 5-15 min. - (LSY) Moxibustion pendant un court moment. - (G) Moxa 3-7 cônes. - (L) Moxibustion 3-7 min.
- (LSH) Folie, dermatose vulvaire, vaginite. - (LSY) Incontinence, prolapsus utérin, troubles mentaux, démangeaisons génitales. - (G) Dermatose génitale, folie-dian kuang. Qian jin yao fang : « Dans la folie-dian kuang, puncturer avec l'aiguille n°11 (Yinxiafeng) et appliquer 30 cônes de moxa, chez la femme, sur Yumentou qui s'appelle Guizang. » - (L) Incontinence urinaire, torpeur, syphilis, maladies urinaires, prolapsus utérin, infections urinaires, psychose maniaco-dépressive (Dian Kuang), hystérie, spasme du vagin.
Note : 11ème des 13 démons [aiguille n°11] chez la femme, chez l'homme correspond au point Huiyin 1VC ou au point Yinxiafeng selon les sources.

8- Jigangji
提肛肌 Releveur de l'anus.
- (LSH) Au bord médial des grandes lèvres, de part et d'autre du bord inférieur de l'orifice vaginal.
- (LSH) Puncture 0.5-0.8 cun. ➡ contractions musculaires.
- (LSH) Prolapsus de la vessie et du rectum.

Commentaires

Noms des points

En matière de toponymie, les dénominations peuvent être classées en fonction de leur domaine de référence :

• référence anatomique :
  • lieu anatomique : "Barrière à 1 cun", "Périnée antérieur", "Releveur de l'anus".
  • métaphore d'un lieu : "Sommet de la porte de jade", "Porte du dragon", "Porte du printemps".
• référence à un symptôme ou une pathologie : "Ecoulement mystérieux".
• fonction thérapeutique : "Porte de la fertilité".

Origine

• Pour trois points seulement, 3- Quanmen, 5- Longmen, 7- Yumentou, la source classique est citée (Qian Jin Yao Fang ou Zhen Jiu Zi Sheng Jing) .

Localisation

• Tous les points sont médians sauf 2- Yumen et 8- Jigangji. 1- Guancun est un triplet constitué d'un point médian et de deux points latéraux.
• La localisation de 1- Guancun décrite par Lu Shouyan est très vague, non applicable.
• La discrimination des localisations des trois points 3- Quanmen, 4- Qianhuiyin et 5- Longmen est peu réalisable en pratique. Selon certaines sources 5- Longmen se confond avec 3- Quanmen.
• A propos de 7- Yumentou il y a un écart notable entre des localisations vagues ("au-dessus de l'orifice vaginal" ou "à l'extrémité supérieur de la vulve") et une localisation précise et remarquable ("au niveau du clitoris" ou "sur le gland du clitoris").

Technique

• Pour les points 2-Youmen et 6-Yaolou, la moxibustion seule est mentionnée.
• Pour les points 4-Qianhuiyin et 8-Jigangji, l'acupuncture seule est mentionnée, ce sont d'ailleurs les seuls points pour lesquels la sensation de puncture est décrite.

Indications

Les différentes indications des points peuvent être classées en 4 catégories (figure 3) :

• Pathologie génitale : troubles menstruels, aménorrhée, menstruation irrégulière, pertes vaginales (rouge ou blanche), stérilité, hémorragie, prolapsus utérin, dermatoses génitales, syphilis, vaginisme, frigidité. Notons que le point 1-Guancun est décrit par Lu Shouyan chez la femme mais comporte "éjaculation nocturne" dans ses indications. Le point 4-Qianhuiyin est décrit chez la femme et chez l'homme, d'où l'indication "gonflement des testicules".
• Pathologie urinaire : infection urinaire, incontinence, rétention urinaire, énurésie.
• Pathologies inguinales : douleur herniaire.
• Pathologies distales :
  • Pathologies digestives : gastrite, prolapsus gastrique, douleur abdominale.
  • Pathologies rhumatismales : arthrite, arthrite de l'épaule, lumbago.
  • Pathologies neuropsychiques : maux de tête, troubles mentaux, folie, psychose maniaco-dépressive, hystérie, torpeur.

Pertinence clinique

• Ces points sont absents des manuels de référence et n'apparaissent que dans les compilations les plus exhaustives.
• Une recherche dans les bases de données chinoises ne relève que deux études cliniques concernant le point 5- Longmen sur la rétention urinaire (Xi 1995 [6]) et l'énurésie (Chen 1997 [7]). Cette situation révèle une absence d'utilisation des points des organes génitaux féminins comme masculins [1] en pratique contemporaine de l'acupuncture.
• Nous proposons la classification ci-dessous en préconisant l'utilisation préférentielle des deux dernières catégories :

La question médico-légale

La description des points d’acupuncture localisés au niveau génital, bien qu’attestée dans les textes classiques et modernes, suscite de nombreuses interrogations quant à leur éventuelle utilisation, leur pertinence clinique, leur acceptabilité pratique et, surtout, les implications éthiques qu’elle pourrait soulever. L’ambiguïté entre une démarche thérapeutique et la perception d’un attouchement inapproprié constitue un risque majeur en pratique clinique.

Jean-Marc Stephan rapporte un cas d'un médecin acupuncteur accusé de gestes inappropriés : "Après certaines séances d’acupuncture, le praticien utilisait des massages allant des pieds à la tête, avec une insistance particulière sur la face interne des cuisses et, surtout, dans une zone « tout autour du vagin et au niveau du clitoris ». Ces massages étaient réalisés dans le but déclaré d’« équilibrer les différentes pathologies » d’une patiente, comprenant notamment des troubles du sommeil, du stress, de la fatigue, une sensation de froid et un surpoids. Le périnée, et plus précisément le point d’acupuncture nommé huiyin (1VC), était ciblé, la pratique étant justifiée par un objectif de « régulation de la féminité » [8].

L'un d'entre nous a été amené à intervenir en tant qu'expert dans une affaire impliquant un "thérapeute en énergétique chinoise" accusé par plusieurs patientes de gestes inappropriés, dont des pressions prolongées sur le clitoris. Le praticien évoquait, lui, une technique d'acupression sur les 1VC et 2VC.

D'autres cas ont été rapportés dans la presse avec condamnation pénale des praticiens.

L’article L1111-4 du Code de la santé publique dispose que « toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé » et « aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne, et ce consentement peut être retiré à tout moment ».

Le consentement libre et éclairé inclut une justification claire et précise de l’intérêt thérapeutique de l'intervention. Dans le cas des points génitaux, leur faible pertinence clinique, associée à leur substituabilité par d’autres points validés, rend leur utilisation non justifiée dans le cadre de l'acupuncture.

L’utilisation éventuelle de ces points génitaux dans le cadre de la rééducation périnéale ou de la sexologie relève de disciplines médicales distinctes. Il appartient à ces disciplines d’évaluer leur intérêt, d’en discuter les indications potentielles et, le cas échéant, d’en définir les modalités d’application, tout en s’assurant que ces pratiques soient réservées à des professionnels de santé spécifiquement formés et encadrés.

Conclusions

• Dans le cadre de l'acupuncture, l'utilisation des points au niveau des organes génitaux externes n'est pas justifié.
  • Elle ne peut s'envisager que dans le cadre strictement encadré de la recherche médicale.
  • Une réflexion approfondie doit également inclure les points 1VG et 1VC et amener à la définition par les institutions responsables de l’acupuncture d’un cadre rigoureux de leur utilisation.
• Néanmoins ces points conservent une valeur historique et heuristique :
  • Documentés dans les textes anciens, ils apportent un éclairage sur l'évolution des concepts et pratiques en acupuncture.
  • Ils posent des questions générales qui s'appliquent à l'ensemble des points d'acupuncture.
  • Ils gardent un potentiel pour des études exploratoires.

Dr Claude Pernice, Dr Johan Nguyen & Anabelle Pelletier-Lambert, sage-femme.

Références

Mots-clés : Gynécologie - Points - Urologie