Lors de l'Assemblée mondiale de la santé 2019 de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), la CIM-11, 11e révision de la Classification internationale des maladies (« Classification statistique internationale des maladies et des problèmes de santé connexes »), publiée en janvier 2018, a été adoptée. Elle rentrera en vigueur le 1er janvier 2022 [1].
La Classification internationale des maladies (CIM, ou ICD en anglais) est la norme internationale utilisée pour l'enregistrement des causes de morbidité et de mortalité. C’est une classification avec codage permettant aux professionnels et institutions de santé de communiquer, de comparer et d’échanger des données de manière cohérente et normalisée.
Cette nouvelle nomenclature a la particularité par rapport aux versions précédentes d’inclure un nouveau chapitre, le chapitre 26 relatif à la médecine traditionnelle, constituant en soi l’International Classification of Traditional Medicine (ICTM) [2]. L’ICTM est énoncée avec des limitations [3] :
- Comme optionnelle, non destinée à la déclaration de la mortalité ou de morbidité qui doit continuer à faire référence aux chapitre 1 à 24.
- Comme « ne faisant référence ni ne préconisant aucune forme de traitement ».
Que la MTC fasse l’objet d’une standardisation internationale de sa terminologie est un souci légitime, et de nombreux exemples au cours des dernières décennies témoignent de cet effort [4-6]. Mais on peut s’interroger sur l’utilité d’une telle inclusion dans le cadre de la classification internationale des maladies. L’ICD a par définition une vocation universelle et concerne l’ensemble du champ de la médecine, alors qu’à l’évidence l’ICTM n’a d’intérêt que strictement dans son sous-champ particulier d’application.
Le chapitre 26 de l’ICTM comporte deux sous-chapitres : les pathologies (disorders) [7]) et les syndromes (pattern) [8] qui renvoient donc aux deux axes classiques de la médecine chinoise distinguant entre bing [病 et zheng 综合征.
Les pathologies / disorders
Quel est l’intérêt de la première partie (la classification des pathologies [7]) alors que cette classification est de même nature que celle de la médecine occidentale avec en très grande partie un recoupement et des nombreuses équivalences [9,10]. Par exemple « CA08 vasomoteur or allergic rhinitis » dans le chapitre 12 de la CIM réapparait comme « SC90 Allergic rhinitis disorders » dans le chapitre 26 (ITCM). En fait la classification des pathologies est une classification qui dans sa structure a été largement influencée par celle de la médecine occidentale au XXème siècle [11]. Comparativement elle peut être considérée comme une forme frustre, purement sémiologique de l’ICD. L’analyse de la littérature scientifique relative à la médecine chinoise d’un point de vue clinique, expérimental ou thérapeutique montre que dans l’immense majorité des cas les pathologies font référence aux chapitre 1-24 de l’ICD. C’est-à-dire que même dans le champ de la médecine chinoise la classification de référence est la classification universelle. Pour les praticiens comme pour les institutions, c’est une évidente source de confusion. Et c’est bien pour éviter toute confusion qu’il est ajouté pour toute entité diagnostique de l’ICTM la désignation « (TM1) » (pour Traditional Medicine), afin de bien la distinguer de la médecine conventionnelle [2].
Les syndromes / patterns
Les zheng-syndromes relèvent d’une autre nature que les pathologies. Les zheng définissent un axe transversal par rapport à celui des pathologies (figure 1). A l’intérieur de chaque pathologie (par exemple insomnies) ils décrivent un ensemble de formes cliniques (par exemple vide de yang du cœur). A la différence des pathologies de l’ICTM, les zheng sont des entités cliniques clairement distinctes de celles décrites dans la partie « conventionnelle » (chapitres 1-24) de l’ICD. Mais l’intérêt du diagnostic des zheng est avant tout opératoire : cela permet dans une pathologie donnée d’identifier des sous-groupes en fonction desquels la thérapeutique (phytothérapie ou acupuncture) va être modulée. C’est-à-dire que le diagnostic de zheng n’a de sens que relativement à ses implications thérapeutiques. Quand le directeur général de l’OMS énonce que l’ICTM « ne fait référence ni ne préconise aucune forme de traitement », il commet une erreur sur la nature propre des zheng qui est justement la référence à des formes précises de traitement. L’éditorialiste de Nature, lui, ne s’y trompe pas quand il observe très justement « qu’une fois diagnostiqués selon la MTC, les gens se verront prescrire des remèdes de la MTC » [12].
Mais le diagnostic des zheng a aussi une autre caractéristique essentielle : c’est que même dans le cadre de la médecine chinoise il est optionnel. L’analyse de la littérature scientifique montre que bon nombre de pratiques ne font aucune référence aux zheng, qu’il s’agisse de prescriptions de phytothérapie ou de protocoles d’acupuncture. Certes le diagnostic des zheng est un élément important dans la formation, la recherche ou la pratique en médecine chinoise, mais il n’en constitue pas pour autant une modalité pratique impérative. C’est bien pour cela que des études ont pour objet de déterminer si un traitement selon la différenciation des zheng est supérieur ou non à un traitement n’en tenant pas compte, en phytothérapie [13], comme en acupuncture [14].
Une inclusion inappropriée
L’ICTM a un grand intérêt dans le cadre de la médecine chinoise, mais aucun dans le cadre de l’ICD-11. Il y a une confusion de niveau entre le champ médical abordé dans son unité et son universalité, et un sous-champ disciplinaire particulier.
L’inclusion de l’ICTM dans l’ICD sous l’égide de l’OMS parait avoir d’évidents enjeux politiques, mais au détriment des objectifs scientifiques. En ce sens elle est contreproductive, et l’éditorialiste de Nature une nouvelle fois ne s’est pas trompé en soulignant que cette décision apparemment favorable à la médecine chinoise pourrait se retourner contre elle [12].
En prêtant ainsi le flanc à la critique, elle mobilise inutilement les opposants habituels de la médecine chinoise. Le site sceptique American Science-Based Medicine, engagé dans une lutte contre les médecines alternatives et complémentaires incluant l’acupuncture, a mis en ligne deux articles intitulés : « CD-11: un triomphe de l'intégration du charlatanisme à la vraie médecine » [15] et « L'OMS promeut la MTC non scientifique, l'Organisation mondiale de la santé approuve le charlatanisme sous forme de la MTC » [16]. Edzard Ernst tout aussi engagé dans le même combat dénonce « l’inclusion intolérable d’absurdité de la MTC » dans la nouvelle classification [17].
L’European Academies’ Science Advisory Council (EASAC) et la Federation of European Academies of Medicine (FEAM) ont publié une communiqué commun pour «joindre [leurs] voix à ceux qui ont exprimé leur inquiétude au sujet de cette restructuration de l’ICD-11 pour inclure des approches diagnostiques qui ne sont pourtant pas, et ne le seront peut-être jamais, établis de manière adéquate selon les critères scientifiques et réglementaires. Il y a un risque à induire patients et médecins en erreur et à accroître les pressions en faveur d'un remboursement par les systèmes de santé publique à une époque où les ressources sont limitées » [18]. Parmi le petit groupe d’expert qui a rédigé le communiqué, on note la présence du Pr Suédois Dan Larhammar qui en assure par ailleurs la promotion dans la presse. Ce dernier est un militant connu du mouvement sceptique suédois, ayant été également président de la Swedish Skeptics' Association (VoF).
L’ICTM se réfère à la « médecine traditionnelle », mais elle ne fait référence qu’à la médecine traditionnelle chinoise. Ce qui naturellement a suscité la réaction des praticiens de médecine ayurvédique [19] . La boite de Pandore est ouverte.
Dr Johan Nguyen
Références
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- World Health Organization. 26 Supplementary Chapter Traditional Medicine Conditions – Module I. | URL |.
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Mots-clés : Diagnostic - Institutions - Sceptiques - Zheng