Essai contrôlé randomisé
L'étude
Lieu
Essai multicentrique réalisé dans quatre hôpitaux tertiaires chinois des provinces de Jiangxi et Hainan.
Objectif
Evaluer l'efficacité et la sécurité de l'acupuncture dans le traitement de la douleur associée à l'endométriose.
Patientes
- Femmes entre 20 et 40 ans ;
- avec des cycles menstruels réguliers et un diagnostic d'endométriose conformément aux lignes directrices du consensus sur l'endométriose de l'Association Médicale Chinoise :
- endométriose symptomatique détectée par laparoscopie ou laparotomie,
- ou endométriome ovarien détecté par échographie ou imagerie par résonance magnétique avec douleur pelvienne ;
- douleur ≥ 40 mm sur échelle visuelle analogique (EVA : 0-100 mm).
Interventions
Randomisation de 106 patientes en deux groupes (1:1) :
- Acupuncture (n =51) (figure 1).
- Fausse acupuncture (n =53 ) avec stimulation minimale sur des non-points (fig. 1).
- En cas de douleur non supportable la prise d'ibuprofène 300 mg deux fois par jour est autorisée.
- Le traitement est débuté 7 jours avant la date prévue des règles pour le 1er cycle et poursuivi sur 12 semaines à raison de 3 séances par semaine.
Critères d'évaluation
- Critère principal : modification de l'intensité de la douleur maximale pelvienne à la fin du traitement (semaine 12) incluant dysménorrhée, dyspareunie et douleur pelvienne non menstruelle.
- Critères secondaires :
- modifications de l'intensité de la douleur maximale pelvienne à la fin du suivi (semaine 24) ;
- durée mensuelle cumulée de la douleur pelvienne (journal de la douleur) aux semaines 12 et 24 ;
- score de qualité de vie (EHP : Endometriosis Health Profile) aux semaines 12 et 24.
Principaux résultats
- Dans le groupe acupuncture, la réduction du score de douleur (EVA) de la dysménorrhée est significative à la fin du traitement (semaine 12), mais non à la fin du suivi (semaine 24) (figure 3).
- Les résultats sont non significatifs sur la dyspareunie et la douleur pelvienne non menstruelle.
- Diminution significative de la durée mensuelle cumulée de la douleur pelvienne dans le groupe acupuncture.
- Amélioration significative des scores de qualité de vie en fin de traitement (semaine 12), mais non en fin de suivi (semaine 24).
- Aucun événement indésirable grave enregistré, absence de différence dans les événements indésirables.
Conclusions des auteurs
L'acupuncture est une méthode efficace et sûre pour soulager la dysménorrhée associée à l'endométriose, bien que son action s'estompe après l'arrêt du traitement.
Commentaires
L’endométriose se caractérise par la présence anormale d'endomètre hors de la cavité utérine. On estime qu'elle touche une à deux femmes sur dix en âge de procréer. Elle serait responsable de 30 à 40% des douleurs pelviennes chroniques et de 70% des douleurs chroniques chez l'adolescente (noter que l'étude exclut les adolescentes). 30-40% des stérilités lui sont attribuables. Les douleurs peuvent avoir un impact important sur la qualité de vie personnelle et professionnelle des patientes. Il s'agit d'un enjeu de santé publique important.
Le protocole d'acupuncture
Les points
- L'étude utilise deux points abdominaux (4VC et 30E) associés à trois points au niveau du membre inférieur (6Rte, 3F, 6Rn).
- Dans une revue de 163 études cliniques [2], 4VC et 6Rte sont les deux points les plus utilisés (fig. 3). Par contre 30E et 6Rn n'apparaissent pas parmi les 20 points d'utilisation la plus fréquente. Il est souligné l'importance dans les pratiques d'un noyau de cinq points 3VC, 4VC, 6VC, zigong, 6Rte.
- Dans l'ensemble de ces études cliniques, 92 points distincts sont utilisés témoignant d'une diversité des approches possibles, d'une spécificité relative des points et de leur substituabilité.
- Le 30E figure parmi les points préconisés dans le guideline international sur le traitement par acupuncture de l'endométriose élaboré par un panel de 20 experts à partir de la littérature internationale [3] (voir annexe).
- L'essai clinique rapporté utilise un traitement uniforme pour toutes les patientes. Dans l'ensemble des 163 études cliniques qu'il analyse, Zhang en identifie 46 (28%) avec un protocole basé sur la différenciation des zheng (fig. 4). La différenciation des zheng apparait bien comme une modalité thérapeutique parmi d'autres.
Temporalité du traitement
- Dans l'étude clinique rapportée, le traitement est débuté 7 jours avant la date prévue des règles pour le 1er cycle, puis se déroule à 3 séances par semaine sur 12 semaines soit 36 séances.
- Le guideline international propose une à deux séances par semaine sur 2 à 3 mois (soit entre 8 à 24 séances) [3].
- L'étude montre un effet antalgique significatif dès la 1ère évaluation à 4 semaines. Il peut être légitime de proposer un traitement sur un premier cycle éventuellement prolongé en fonction de la réponse observée, ou encore de centrer le traitement sur la période menstruelle.
L'efficacité de l'acupuncture
L'étude montre une efficacité de l'acupuncture sur la dysménorrhée, mais non sur les douleurs pelviennes non menstruelles ou la dyspareunie. Pour les auteurs, le faible nombre de patientes incluses présentant ces deux derniers symptômes peut expliquer l'absence d'effet détectable.
L'effet de l'acupuncture s'estompe avec le temps. Il reste significatif à 20 semaines, mais ne l'est plus en fin de suivi (24 semaines). Le comparateur est une fausse acupuncture avec pénétration cutanée de l'aiguille, ce qui est considéré comme un placebo impur avec comme conséquence une minimisation de l'effet de l'acupuncture réelle.
Deux revues systématiques récentes montrent l'intérêt de l'acupuncture sur la douleur (y compris douleur pelvienne non menstruelle et dyspareunie) et la qualité de vie :
- Giese 2023 (6 ECR, dont 3 versus fausse acupuncture dont l'ECR présenté) avec des preuves faibles à modérées [4].
- Wang 2023 (15 ECR, dont 3 versus fausse acupuncture) avec également des preuves faibles à modérées [5].
Parmi l'ensemble des thérapeutiques dites "complémentaires" l'acupuncture est la seule à montrer un effet antalgique significatif versus placebo [6].
Notons qu'il est observé dans une autre revue systématique une baisse après acupuncture du taux sérique de CA-125, marqueur inflammatoire non spécifique dans l'endométriose (4 ECR [7]).
Recommandations de bonne pratique
Place de l'acupuncture
Ces dix dernières années sept guidelines ont inclus l'acupuncture dans leur analyse (fig. 5 [8]). L'acupuncture est énoncée avec une recommandation positive dans cinq : Australie/Nouvelle Zélande, USA (2), France, Allemagne/ Autriche. L'European Society of Human Reproduction and Embryology (ESHRE, 2022) n'émet pas de recommandation du fait de preuves jugées insuffisantes. L'avis de la Japan Society of Obstetrics and Gynecology (2022) n'est pas explicite.
Notons l'avis positif dès 2017 du Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français (CNGOF) et de la Haute Autorité de Santé (HAS) [9]. Les études publiées depuis ne font que renforcer cette recommandation.
Les autres thérapeutiques
Le dernier guideline publié est celui de l'European Society of Human Reproduction and Embryology (ESHRE, 2022 [10]). La figure 6 résume les recommandations thérapeutiques de l'ESHRE : AINS et antalgiques, traitements hormonaux et chirurgie.
Il est intéressant de relever la réalité des données probantes sous-tendant ces recommandations à partir des dernières revues systématiques de la Cochrane publiées sur le sujet (2017-2023) :
- AINS/ antalgiques : aucune preuve d'efficacité versus placebo. Il n'existe dans la littérature qu'un seul essai contrôlé randomisé datant de 1985 n'incluant que 24 patients et ne montrant pas de différence avec le placebo [11]. Les auteurs concluent : "Nous ne pouvons pas porter de jugement quant à l'efficacité des AINS".
- Pilule contraceptive : preuves très basses versus placebo. Elles consistent en deux seuls essais japonais de la même équipe (2008 et 2017) avec haut risque de biais, notamment quant à la randomisation. À cela s'ajoute un fort conflit d'intérêt, la firme pharmaceutique Bayer ayant participé à toutes les étapes de l'étude, avec des co-auteurs signataires membres directs de la firme, les autres en ayant reçu des paiements [12]. Les auteurs concluent :"Il n'y a pas suffisamment de preuves pour émettre un jugement sur l'efficacité par rapport au placebo".
- Analogues de la GnRH : preuves basses versus placebo. La Cochrane n'a retenu pour l'analyse qu'un seul ECR datant de 1999 incluant 87 patientes [13]. Les auteurs concluent : "Il pourrait y avoir une légère diminution en faveur du traitement par rapport au placebo".
- Chirurgie : preuves très basses de la chirurgie laparoscopique versus laparoscopie diagnostique. La revue de la Cochrane n'a retenu pour l'analyse qu'un seul ECR de 2004 qui ne porte que sur 16 patientes, avec l'observation d'une absence de différence sur la douleur à 6 et 12 mois [14]. Les auteurs concluent : "Par rapport à la laparoscopie diagnostique seule, il est incertain que la chirurgie laparoscopique réduise la douleur globale".
On fait le constat d'un faible niveau de preuve global des thérapeutiques recommandées, contrastant avec l'énoncé par l'ESHRE de preuves insuffisantes pour l'acupuncture.
Conclusions
Il reste que l'acupuncture apparaît dans la plupart des guidelines comme option thérapeutique pour le contrôle de la douleur dans l'endométriose. Les données probantes concernant son efficacité versus placebo paraissent qualitativement et quantitativement supérieures à celle des autres options, notamment médicamenteuses.
En France, l'endométriose a été déclarée cause nationale (2022) avec le lancement d'une "stratégie nationale contre l'endométriose" [15]. Parmi les objectifs, il s'agit de "garantir un diagnostic rapide et l’accès à des soins de qualité sur l’ensemble du territoire" et de "renforcer massivement les moyens dédiés à la recherche sur l’endométriose". Il semble légitime de faire de l'acupuncture une thématique de recherche et dès à présent de développer son inclusion dans les centres spécialisés.
Annexe
Consensus d'experts sur le traitement par acupuncture de la douleur de l'endométriose [4].
Drs Olivier Goret et Johan Nguyen
Références
- Li PS, Peng XM , Niu XX, Xu L, Hung-Yu Ng E, Wang CC, Dai JF, Lu J, Liang RN. Efficacy of acupuncture for endometriosis-associated pain: A multicenter randomized single-blind placebo-controlled trial. Fertil Steril. 2023 May;119(5):815-823. |doi| 🔓
- Zhang Q, Meng X, Huang S, Huang L, Wu L, Zhou Z. [Rules of acupoint selection and pattern-acupoint relationship in treatment with acupuncture and moxibustion for endometriosis based on complex network analysis technology]. Zhongguo Zhen Jiu. 2024 May 12;44(5):602-10. |doi|
- Giese N, Heirs MK. Development of Provisional Acupuncture Guidelines for Pelvic Pain in Endometriosis Using an e-Delphi Consensus Process. J Integr Complement Med. 2023 Mar;29(3):169-180. |doi| 🔓
- Wang Y, Coyle ME, Hong M, He S, Zhang AL, Guo X, Lu C, Xue CCL, Liang X. Acupuncture and moxibustion for endometriosis: A systematic review and analysis. Complement Ther Med. 2023 Sep;76:102963. |doi| 🔓
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- Nguyen J, Pernice C, Gerlier JL. Endometriosis. Evidence in Acupuncture. Jul 2024. |URL| 🔓
- HAS et CNGOF. Prise en charge de l'endométriose. Haute Autorité de Santé. 2017. Argumentaire. |URL| 🔓
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- Brown J, Crawford TJ, Allen C, Hopewell S, Prentice A. Nonsteroidal anti-inflammatory drugs for pain in women with endometriosis. Cochrane Database Syst Rev. 2017 Jan 23;1(1):CD004753. |doi| 🔓
- Brown J, Crawford TJ, Datta S, Prentice A. Oral contraceptives for pain associated with endometriosis. Cochrane Database Syst Rev. 2018 May 22;5(5):CD001019. |doi|🔓
- Veth VB, van de Kar MM, Duffy JM, van Wely M, Mijatovic V, Maas JW. Gonadotropin-releasing hormone analogues for endometriosis. Cochrane Database Syst Rev. 2023 Jun 21;6(6):CD014788. |doi|🔓
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- Ministère des Solidarités et de la Santé. Stratégie nationale contre l'endométriose. 2022. |URL|🔓
Mots-clés : Douleur - Gynécologie
Bonjour à tous les deux.
Belle mise au point.
Je vous signale une méta-analyse qui est sortie juste 2 jours après votre article et qui va dans le même sens que vous : Chen C, Li X, Lu S, Yang J, Liu Y. Acupuncture for clinical improvement of endometriosis-related pain: a systematic review and meta-analysis. Arch Gynecol Obstet. 2024 Aug 7. doi: 10.1007/s00404-024-07675-z. Epub ahead of print. PMID: 39110208.https://link.springer.com/article/10.1007/s00404-024-07675-z
Amitiés