La problématique
Quelle est la densité des points d'acupuncture à la surface du corps ? Imaginez que tous les points soient répartis de façon homogène et équidistants les uns des autres, quelle serait la distance entre deux points ? Question équivalente : si chaque point était au centre d'un cercle et que tous les cercles étaient tangentiels, sans chevauchement ni espacement, quelle serait son rayon et sa superficie moyenne ?
Les éléments de calcul
Pour répondre à ces questions il faut déterminer 1) le nombre de points à la surface du corps et 2) la superficie du corps.
Le nombre de points d'acupuncture
- En acupuncture il est identifié 361 points méridiens dont 52 sont médians, ce qui fait au total 670 points méridiens répartis à la surface du corps.
- Mais un nombre encore plus important de points dits "hors méridiens" [HM] sont décrits, comprenant les points "curieux" décrits dans la littérature classique et les points "nouveaux" décrits à l'époque moderne. Deux grandes sources ont compilé l'ensemble de ces points :
Li Su Huai décrit ainsi un ensemble de 1566 points (méridiens et hors-méridiens) dont 157 médians ce qui fait au total 2975 points répartis à la surface du corps (tableau 1).
Points d'acupuncture | nbre décrits | dont médians | Total à la surface du corps |
---|---|---|---|
Points méridiens | 361 | 52 | 670 |
Points hors méridiens | 1205 | 105 | 2305 |
Σ | 1566 | 157 | 2975 |
La superficie corporelle
- La surface du corps est, le plus couramment, déterminée par la formule de Du Bois et Du Bois :
Surface corporelle (m²)=0,007184×taille(cm)0,725×poids(kg)0,425
- En France, le sujet moyen mesure 1,72 m et pèse 70 kg, ce qui représente une superficie corporelle moyenne de 1,83m2 .
La densité ponctuelle
A partir du nombre de points et de la superficie corporelle, il est possible de déterminer la densité, la distance moyenne entre deux points (inverse de la racine carrée de la densité) et la superficie du cercle centré par le point (tableau 2).
Sujet moyen (1,72m, 70 kg, 1,83m2 ) | 2975 points | 670 points méridiens |
---|---|---|
Densité | D = 0,16 point par cm2 | D = 0,03 point par cm2 |
Distance moyenne entre deux points | d = 2,48 cm | d = 5,23 cm |
Rayon et superficie des cercles tangentiels centrés par les points | r = 1,24 cm s = 4,83 cm2 | r = 2,61 cm s = 21,48 cm2 |
Li Su Huai classe les points par région, ce qui permet de déterminer les valeurs régionales (table 3).
Commentaires
Le nombre de points
- Le nombre de points d'acupuncture décrit est très important (n=1566), les points des méridiens (n=361) n'en représentent que 23%.
- On distingue dans les points hors méridiens (HM) les points "curieux" (PC) décrits dans les classiques de la période impériale et les points "nouveaux" (PN) décrits à l'époque moderne, post-impériale. Dans le Zhenjiu Xue [4] sur 388 points HM décrits, la proportion est de 46 % de PC et 54% de PN.
- Dans les 1205 points HM décrits par Li Su Hai sont inclus les points des systèmes holographiques (acupuncture auriculaire, crânienne…). C'est ce qui explique en partie la forte densité observée au niveau de l'extrémité céphalique, 6 fois supérieure à celle observée sur le reste du corps (tableau 3).
- La multiplication des descriptions fait émerger de nombreuses problématiques concernant :
- l'imprécision de localisation, qui fait qu'un certain nombre de points décrits sont sans doute superposés.
- l'imprécision de dénomination, le même point peut être décrit sous différents noms et plusieurs points partagent le même nom.
- la pertinence même de la description d'un point et la justification clinique de son identification.
- La question des points hors méridiens de Dong (Tung) est emblématique [5]. Il décrit un vaste système indépendant de près de 740 points se superposant au système classique.
- D'autres systèmes se superposent également, même s'ils ne correspondent pas obligatoirement à des points à localisation fixe : les points de "dry needling" ou équivalents (trigger points, points ashi…), les points de la technique sous-cutanée de Fu [6]…
- Cela conduit à une discussion critique [7-10] et à l'élaboration de normes quant à la nomenclature des points hors méridiens [11].
Considérations pratiques
L'analyse de la densité des points à la surface du corps a des implications sur la pratique. Il apparait que :
- Si on pique un point A avec une erreur ≥ 2.4 cm on pique en fait un point B. Si A est un point méridien, avec une erreur ≥ 5.2 cm on pique un autre point méridien.
- Si on pique un point A avec une erreur ≥ 1.2 cm on pique en fait dans le champ d'un point B. Si A est un point méridien avec un erreur de ≥ 2.6 cm, on est dans le champ d'un autre point méridien.
Il ne s'agit là, bien sûr, que d'une modélisation grossière destinée à alimenter une réflexion sur le point d'acupuncture.
Un point d'acupuncture est défini par sa localisation qui est un idéal théorique. Cette localisation doit permettre un repérage reproductible c’est-à-dire que les positions d’un même point déterminées par deux opérateurs indépendants doivent être concordantes (reproductibilité inter-opérateurs). De nombreuses études ont examiné la variabilité des localisations entre les praticiens [12-20] et elles montrent globalement des aires de dispersion importantes. Ces aires de dispersion sont représentées par des ellipses dont la superficie varie de 2,7 cm2 à plus de 40 cm2 [17], ce qui correspond à des grands axes de 0,5 cm à plus de 8 cm (figures 1 et 2).
L'aire de dispersion est d'autant plus grande que le point est éloigné de repères anatomiques fixes (pli cutané, structure osseuse…) ce qui parait logique (figure 2). Mais nous avons souligné à propos des points dazhui (14VG) et yaoyangguan (3VG) que la localisation de ces repères anatomiques était elle-même problématique [21].
Dans la plupart des études l'aire de dispersion n'est pas corrélée à l'expérience du praticien. C'est à dire que dans les conditions usuelles de pratique il existe pour chaque point un coefficient de dispersion irréductible (figure 2).
Considérations théoriques
Une zone centrée par un point.
- La pratique est contrainte par la précision avec laquelle un point peut être localisé. De fait, une précision millimétrique stricte ne parait pas une condition unique et nécessaire à l'obtention de résultats thérapeutiques. Cela a conduit à penser le point d'acupuncture non comme une simple entité ponctuelle mais comme une zone, un champ [17] ou une micro-région pouvant s'étendre de plusieurs millimètres à plusieurs centimètres. En 1951, Zhu Lian énonçait déjà, dans son traité princeps, que la taille d'un point d'acupuncture était celle d'un haricot blanc, proposant ainsi la notion d'une zone élargie (et elliptique) d'action thérapeutique [22].
- Mais, même en acceptant cette notion de zone, la définition théorique d'un point précis demeure indispensable, c'est la seule façon de réduire la dispersion des localisations. Le point reste ainsi une référence topographique incontournable pour guider la pratique.
- Les limites de la précision de localisation pourraient également être compensées par une diffusion de la stimulation au-delà de la zone de puncture, atteignant ainsi ce qui serait l'élément cible. Cela pourrait être l'objectif de la recherche du deqi et des manipulations d'aiguille.
- De même on peut imaginer le point d'acupuncture comme une structure concentrique, avec un centre où l’effet est optimal, entouré d’une zone périphérique où l’effet, tout en restant notable, diminue progressivement selon un gradient.
- Enfin des données cliniques suggèrent que la surface et la réceptivité de la zone varient en fonction de la personne, de son état physiologique ou pathologique, illustrant ainsi une certaine variabilité contextuelle.
Une matrice de points millimétriques en continuité
- La forte densité des points décrits à la surface du corps, le chevauchement des systèmes comme l'irréductible imprécision de leur localisation clinique rend problématique la discrimination entre deux points d'acupuncture. Il devient difficile d'envisager les points comme des entités distinctes et circonscrites, réparties à la surface du corps.
- Cela suggère une autre lecture topographique avec une inversion de la problématique. Le modèle le plus approprié serait de considérer l'ensemble de la surface du corps comme une entité unique, partout stimulable (en chacun de ses points millimétriques), avec partout l'induction potentielle d'un effet physiologique. En fonction de sa position topographique, chaque point millimétrique a une sphère d'action et une intensité d'action. Plus ces unités élémentaires sont topographiquement proches et plus leur sphère d'action et leur intensité d'action sont proches.
- Sur cette matrice les points d'acupuncture sont alors l'identification empirique de "foyers" de points millimétriques dont la stimulation entraine un effet thérapeutique observable dans un champ d'indications définies.
- On conçoit très bien que placés dans des contextes médicaux différents à des époques différentes les praticiens ont pu identifier des points, puis en identifier d'autres et d'autres encore, tout en les systématisant de diverses façons sur la base de considérations théoriques ou cliniques variables. Cette évolution constante a conduit à la situation actuelle.
- Ce modèle met à distance les points de vue théoriques, chaque point étant in fine défini par la réalité de son action clinique et biologique, non par le système auquel il appartient.
La fausse acupuncture
- La fausse acupuncture qui utilise un non-point d'acupuncture est problématique.
- Un non-point d'acupuncture n'est pas un point dont la stimulation n'a pas d'effet, mais un point dont la stimulation a un effet de nature et d'intensité indéterminés. Il doit être considéré comme un placebo impur, ce qui a pour conséquence de minimiser, dans les comparaisons, l'amplitude de l'effet spécifique de l'acupuncture.
Points clés
- 1566 points d'acupuncture sont décrits, soit 2975 points répartis à la surface du corps.
- La précision de localisation clinique d'un point d'acupuncture est obligatoirement limitée.
- La densité des points et l'imprécision de leur localisation rendent problématique la discrimination entre deux points d'acupuncture.
- La réponse réside dans une modélisation pragmatique détachée des concepts théoriques.
- Le point d'acupuncture peut être envisagé comme un "foyer" sur une matrice stimulable partout sur le corps.
Dr Johan Nguyen et Dr Claude Pernice
Références
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Mots-clés : Points