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121- Étude de l’effet antidépresseur de l’acupuncture chez le rat avec analyse transcriptomique.

Zhang Y1, Zhang H1, Zheng X1, Hou Y2, Chang X1, Zhang L1, Wang Y1, Chen S1. Identification of differentially expressed genes in the medial prefrontal cortex of rats subjected to chronic unpredictable mild stress and treated with electroacupuncture. Genomics. 2024 Sep;116(5):110901. [1]
1Institute of Acupuncture and Moxibustion, Innovative Institute of Chinese Medicine and Pharmacy, Shandong University of Traditional Chinese Medicine, Shandong 250355, China.
2College of Acupuncture and Massage, Shandong University of Traditional Chinese Medicine, Jinan, China.
55, China. 

Contexte et objectif

L’électroacupuncture (EA) a montré des effets thérapeutiques positifs contre la dépression mais les mécanismes moléculaires précis par lesquels elle agit restent encore peu compris. L'objectif de cette étude est de déterminer l'impact de l'EA sur les comportements dépressifs induits par le stress chronique imprévisible modéré (CUMS) chez les rats et de réaliser une analyse transcriptomique du cortex préfrontal médial pour l'identification des gènes potentiellement impliqués dans l'effet thérapeutique.

Méthodologie

  • Les rats ont été soumis à un protocole de stress chronique imprévisible modéré (CUMS), un modèle bien établi de la dépression.
  • Les comportements dépressifs ont été évalués à l'aide de plusieurs tests comportementaux : le test de la préférence pour le saccharose, le test de nage forcée et le test en champ libre.
  • Les rats ont reçu des traitements d’électroacupuncture répétés sur deux points spécifiques : 20VG (baihui) et 3F (taichong) (figure 1).
Figure 1. Protocole d'électroacupuncture (d'après [1]).
  • Après les traitements, une analyse transcriptomique a été réalisée sur le cortex préfrontal médial (mPFC) des rats, en utilisant le séquençage de l'ARN (RNA-seq) pour identifier les gènes exprimés de manière différentielle en réponse au stress chronique et au traitement par électroacupuncture.

Résultats

  • Les traitements par électroacupuncture ont significativement amélioré les comportements dépressifs des rats, en augmentant la préférence pour le saccharose et en réduisant l’immobilité dans le test de nage forcée, indicateurs classiques de l’effet antidépresseur.
  • Le séquençage de l'ARN a révélé des modifications significatives du transcriptome dans le mPFC des rats traités par électroacupuncture, comparés aux rats non traités.
  • L'analyse des gènes différentiellement exprimés a révélé que l'électroacupuncture a restauré l'expression de 46 gènes dont la régulation avait été diminuée et de 13 gènes dont la régulation avait été augmentée par le stress chronique imprévisible (CUMS).
  • Parmi les gènes identifiés, Casr (récepteur du calcium), Bdkrb2 (récepteur de la bradykinine B2), Gnb3 (protéine de signalisation Gβ3), et Ccl1 (cytokine pro-inflammatoire) ont été fortement associés à la dépression et à la réponse au traitement par électroacupuncture.

Conclusion des auteurs

L'étude montre que l'électroacupuncture a un effet antidépresseur chez les rats soumis au CUMS, avec des modifications dans l'expression de gènes clés du cortex préfrontal médial, notamment Casr, Bdkrb2, Gnb3, et Ccl1.

Ces résultats suggèrent que l'électroacupuncture module des systèmes biologiques impliqués dans la dépression, offrant des perspectives pour de futures recherches sur ses cibles thérapeutiques.

Le modèle de stress chronique imprévisible modéré (CUMS)

Le modèle de dépression utilisé dans cette étude est celui de stress chronique imprévisible modéré (Chronic Unpredictable Mild Stress ou CUMS en anglais). Ce modèle est couramment utilisé pour étudier la dépression chez les animaux, notamment les rongeurs, en raison de sa capacité à imiter les symptômes de la dépression humaine, tels que l'anxiété, l'anhédonie (perte de plaisir), et le désespoir comportemental.

  • Les animaux sont exposés à une série de stresseurs de faible intensité, mais de manière répétée et imprévisible sur une période prolongée (généralement plusieurs semaines).
  • Les stresseurs peuvent inclure des modifications telles que la réduction du niveau d'eau dans la cage, la privation de nourriture, l'inversion du cycle lumière-obscurité, l'exposition à des bruits soudains, l'inclinaison des cages ou encore de légers chocs électriques.
  • Le caractère imprévisible est crucial, car il empêche les animaux de s'habituer aux stresseurs, augmentant ainsi leur impact sur les niveaux de stress chronique.

Les tests comportementaux

Les effets antidépresseurs sont évalués à l'aide de tests comportementaux standardisés, qui permettent de quantifier les symptômes de type dépressif induits par le CUMS).

Test de la préférence pour le saccharose

  • Ce test mesure l'anhédonie, l’un des symptômes clés de la dépression. Les rats sont placés dans une situation où ils ont le choix entre une solution de saccharose et de l'eau pure. Une réduction de la préférence pour une solution sucrée par rapport à l'eau est interprétée comme une diminution du plaisir.
  • Dans l'étude, les rats traités avec l'électroacupuncture ont montré une augmentation significative de la consommation de saccharose, indiquant une réduction de l'anhédonie (figure 2).

Test de nage forcée

  • Ce test est utilisé pour évaluer le désespoir comportemental, un autre symptôme typique de la dépression. Les rats sont placés dans un réservoir d'eau dont ils ne peuvent s’échapper. Après quelques tentatives de nage, les animaux dépressifs se mettent à flotter passivement, ce qui est interprété comme une perte de motivation. Le temps passé en immobilité est un indicateur de passivité et de désespoir. Notons que ce test est controversé et éthiquement contrôlé.
  • Les rats traités par électroacupuncture montrent une réduction du temps passé immobile, indiquant une diminution du désespoir et, par conséquent, un effet antidépresseur (figure 2).

Test en champ libre

  • Ce test évalue le comportement exploratoire spontané des animaux, qui tend à diminuer chez les rats dépressifs, reflétant un manque de motivation ou un comportement de retrait, ainsi que des signes d’anxiété. Les rats sont placés dans une arène ouverte, et leur niveau d'activité est mesuré par la distance parcourue et le temps passé à explorer le centre de l'arène (plus exposé et anxiogène) par rapport aux bords.
  • Après traitement par électroacupuncture, une augmentation de l'activité et une exploration accrue du centre indiquent une amélioration des symptômes dépressifs et anxieux (figure 2).
Figure 2. Effets de l'électroacupuncture (EA) sur les comportements dépressifs induits par le stress chronique imprévisible modéré (CUMS) chez les rats. Comparaison entre le groupe contrôle (Con), le groupe CUMS, et le groupe traité par EA. (A) Préférence pour le saccharose, (B) Temps d'immobilité dans le test de nage forcée, (C) Distance totale parcourue dans le test en champ libre, et (D) Distance parcourue dans la zone centrale du champ libre. Le traitement par EA améliore significativement les comportements dépressifs par rapport au groupe CUMS (* p < 0,05, ** p < 0,01, *** p < 0,001) [1].

L'analyse transcriptomique

L'analyse transcriptomique est un domaine de recherche en plein développement, cherchant à identifier les gènes ciblés et régulés par l'acupuncture afin de mieux comprendre son action thérapeutique particulièrement aux niveaux moléculaires et cellulaires. Ce type d'analyse a par exemple été menée dans des études récentes sur les effets de l'acupuncture dans l'hypertension [2], l'oligoasthénospermie [3] ou encore la colite ulcéreuse [4]. Cette analyse comporte plusieurs étapes :

  • Extraction des échantillons de cerveau : Après avoir soumis les rats à un stress chronique et à un traitement par électroacupuncture, le tissu du cortex préfrontal médial (mPFC) des rats a été prélevé. Cette région du cerveau est particulièrement liée aux symptômes de dépression.
  • Séquençage de l'ARN (RNA-Seq) : L'ARN extrait du mPFC a été analysé à l'aide d'une technique appelée séquençage de l'ARN (RNA-Seq). Cette méthode permet de voir quels gènes sont activés (ou désactivés) dans les cellules en fonction de la situation, ici, avant et après traitement. Cela permet de comparer les niveaux d'expression des gènes chez les rats dépressifs et ceux ayant reçu le traitement d'électroacupuncture.
  • Identification des gènes modifiés : En analysant les résultats du séquençage, les chercheurs ont identifié les gènes dont l'expression était modifiée par le stress et corrigée par l'électroacupuncture. Ils ont trouvé 46 gènes dont l'expression était trop faible chez les rats dépressifs et qui ont été "réactivés" par l'électroacupuncture. De plus, 13 gènes qui étaient trop activés par le stress ont vu leur activité réduite après le traitement (Figure 3).
  • Analyse fonctionnelle des gènes : Ces gènes ont ensuite été reliés à des fonctions biologiques spécifiques à l’aide de bases de données génomiques. Cela permet de comprendre à quoi servent ces gènes dans le corps, par exemple, s'ils sont impliqués dans la réponse immunitaire, la signalisation neuronale ou la régulation de l'inflammation.
  • Validation des résultats : Une technique appelée PCR quantitative (RT-qPCR) a été utilisée pour vérifier si les gènes identifiés étaient bien modifiés de la manière attendue. Cela permet de s'assurer que les résultats sont fiables. Certains gènes spécifiques, comme Casr (lié à la plasticité synaptique) et Gnb3 (impliqué dans la transmission nerveuse), ont été validés comme étant influencés positivement par l'électroacupuncture.
  • Interprétation clinique : Les résultats montrent que l’électroacupuncture agit en modifiant l’activité de gènes clés dans le cortex préfrontal, ce qui améliore la communication inter-neuronale et aide à réduire les symptômes dépressifs. Les gènes identifiés dans cette étude pourraient aussi représenter de futures cibles thérapeutiques pour des traitements contre la dépression.
Figure 3. Carte thermique (heatmap) des gènes exprimés. Cette figure représente les modèles d'expression des gènes communs identifiés dans les différents groupes. Les variations de couleur montrent les différences d'expression génétique entre les groupes, avec un gradient du rouge (expression augmentée) au bleu (expression diminuée), ce qui permet une visualisation rapide des effets de l'électroacupuncture sur l'expression génique [1].

Conclusions et perspectives

  • Au cours de la dernière décennie, la recherche sur l'acupuncture a connu un essor remarquable, avec des progrès significatifs dans la compréhension de ses mécanismes d'action au niveau moléculaire et cellulaire. Les avancées technologiques ont permis d'explorer ces mécanismes de manière beaucoup plus précise, transformant radicalement le paysage de la recherche par rapport à celui qui prévalait au tournant du siècle.
  • Ces progrès témoignent d'une adoption rapide et réussie des nouvelles techniques d'investigation dans le domaine de l'acupuncture. Elle est aujourd'hui pleinement intégrée dans la recherche biomédicale internationale, soutenue par des équipes pluridisciplinaires de chercheurs et des institutions médicales reconnues, contribuant à une meilleure légitimité scientifique de la discipline.
  • Il est nécessaire que les médecins acupuncteurs soient bien informés de ces avancées, qu'ils aient une compréhension des problématiques, des méthodologies et des développements actuels. Ils jouent un rôle clé en tant qu'intermédiaires, capables de diffuser ces connaissances au sein de l'ensemble du corps médical, facilitant ainsi l'intégration de l'acupuncture dans notre système de soins.
  • Enfin, l'évolution rapide des données scientifiques dans ce domaine doit être suivie de près, car elle pourrait avoir un impact direct sur la pratique clinique. La découverte d'actions moléculaires spécifiques à certains points d'acupuncture pourrait profondément modifier notre approche thérapeutique, en améliorant l'efficacité et la précision des traitements.

Dr Johan Nguyen

Références

  1. Zhang Y, Zhang H, Zheng X, Hou Y, Chang X, Zhang L, Wang Y, Chen S. Identification of differentially expressed genes in the medial prefrontal cortex of rats subjected to chronic unpredictable mild stress and treated with electroacupuncture. Genomics. 2024 Sep;116(5):110901. |doi| 🔓
  2. Li J, Peng C, He K, Wang Y, Lai X. The central mechanisms of electroacupuncture at LR3 in the treatment of spontaneous hypertension: a PET and mRNA transcriptome study. Front Cardiovasc Med. 2024 Aug 21;11:1358426. |doi| 🔓
  3. Hao J, Ren J, Chang B, Xu H, Wang H, Ji L. Transcriptome and proteomic analysis reveal the protective mechanism of acupuncture on reproductive function in mice with asthenospermia. Heliyon. 2024 Aug 22;10(17):e36664. |doi| 🔓
  4. Zhang RB, Dong LC, Shen Y, Li HY, Huang Q, Yu SG, Wu QF. Electroacupuncture alleviates ulcerative colitis by targeting CXCL1: evidence from the transcriptome and validation. Front Immunol. 2023 Sep 1;14:1187574. |doi| 🔓

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Mots-clés : Acupuncture expérimentale - Psychiatrie


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