Il s'est développé en Occident une "acupuncture médicale occidentale" qui prétend être fondée sur "les connaissances actuelles de l’anatomie, de la physiologie et de la pathologie, et les principes de l’Evidence-based Medicine". Cette acupuncture occidentale s'opposerait à une acupuncture chinoise confinée, elle, à une "ancienne idéologie" regroupant les concepts classiques de la médecine chinoise et de l'acupuncture (yinyang, qi, méridiens, zheng…) [1]. Cette catégorisation vise bien sûr à une mise à distance d'autorité et a priori de ces concepts classiques. Le traité emblématique de l'acupuncture médicale occidentale est celui des britanniques Adrian White, Mike Cummings et Jacqueline Filshie [2]. Ce discours opposant l'Occident à la Chine en les associant exclusivement l'un à la science et l'autre à la tradition est courant, ancien et daté. Il induit un contresens fondamental sur la nature épistémologique des savoirs médicaux chinois [3].
En fait l'acupuncture médicale occidentale n'a en tant que telle aucune consistance réelle. Elle ne fait que détourner à son profit toutes les études cliniques (notamment sur l'efficacité) et expérimentales (notamment sur les mécanismes d'action) qui portent en réalité sur l'acupuncture chinoise telle qu'elle est pratiquée et enseignée en Chine comme au niveau international. Très rares sont les études se réclamant expressément d'une acupuncture médicale occidentale [4]. Les objets concrets sur lesquels travaille la recherche biomédicale sont les savoirs et les pratiques de l'acupuncture ; énoncer que les résultats positifs de cette recherche seraient à mettre au crédit de la scientificité de l'acupuncture occidentale tout en démontrant, par là même, le caractère non scientifique et idéologique de l'acupuncture chinoise est totalement aberrant. La science est universelle, l'acupuncture s'est historiquement développée en Chine et la communauté médicale, avec ses règles et outils actuels, l'interroge comme elle interroge toute thérapeutique.
Le National Institute for Health and Clinical Excellence (NICE) vient de publier des recommandations de bonne pratique concernant le traitement de la dépression. Par un remarquable retournement de perspective le NICE prend l'acupuncture médicale occidentale et ses promoteurs britanniques à leur propre jeu :
"Il y a des preuves d'efficacité et coût-efficacité pour une association de l'acupuncture et des antidépresseurs, mais le comité est conscient que ces preuves sont basées sur l'acupuncture chinoise différente de l'acupuncture occidentale, et donc que ces résultats peuvent ne pas être applicables à la population britannique, donc le comité fait une recommandation de recherche sur l'acupuncture et les antidépresseurs. [5]
En d'autres termes : oui, l'acupuncture chinoise démontre son efficacité, et non, il n'y a pas de preuve d'efficacité de l'acupuncture médicale occidentale. Et comme l'acupuncture occidentale serait par nature l'acupuncture pratiquée en Occident, les résultats de l'acupuncture chinoise ne peuvent être extrapolables au Royaume-Uni.
Un pied de nez aux promoteurs d'une acupuncture médicale occidentale soi-disant fondée sur la science et l'EBM, un juste retour de bâton mais dont pâtit toute l'acupuncture. Ces catégorisations idéologiques datées sont simplement à récuser.
Dr Johan Nguyen
Références
- White A and Editorial Board of Acupuncture in Medicine. Western medical acupuncture: a definition. Acupuncture in Medicine. 2009;27(1):33-5. [159571]. |doi|.
- White A, Cummings M, Filshie J. An introduction to western medical acupuncture. London: Churchill Livingstone, 2008. [194842]. Edition française : Précis d’acupuncture médicale occidentale. Issy-les-Moulineaux: Elsevier Masson. 2011. [155803].
- Nguyen J. Repenser et redélimiter notre champ professionnel. Acupuncture & Moxibustion. 2015; 14(3):227-234. |URL|
- Nguyen J. L’ « acupuncture médicale occidentale » dans les bouffées de chaleur ? Acupuncture, Preuves & Pratiques. Juin 2020. |URL|.
- NICE guidelines. Depression in adults: treatment and management. 2022. |URL|
- Nguyen J, Schvartzapel M, Goret O, Pernice C, Gerlier JL. Dépression. Centre de preuves en acupuncture. Juillet 2022. |URL|.
Mots-clés : Psychiatrie - Recommandation de bonne pratique
livre publié en 2011
tous ceux quui sont llés eh Chine savent bien que les pratitiens chinois ne prennent que rarement les pouls pour le diagnostique
Il y a le diagnostic d’une pathologie et le diagnostic d’une forme clinique (zheng) de cette pathologie. La prise des pouls en acupuncture est relative à ce dernier aspect (la différenciation des zheng). La différenciation des zheng n’est qu’une modalité de choix des points parmi d’autres.
Il faut simplement considérer l’acupuncture comme un terme générique qui regroupe différentes pratiques avec une base commune (la stimulation de points) et de nombreuse variations mobilisant des éléments et des savoirs distincts.
La question posée à la recherche biomédicale est de déterminer la pratique et les paramètres optimaux. Il convient donc simplement d’interroger l’ensemble des pratiques et non de déterminer à priori ce que serait une pratique « scientifique » par rapport à une autre qui ne le serait pas.