
Étude de cohorte rétrospective
| Zhou R1, Zhu Y1,2,3J, He YH1, Lin JJ4, Zhang ZX4, Zhao WJ4, Ma HC1, Chang XS1, Chen YD1, Li WZ1, Chen X1, Chai XS1, Zhang HB1,2,3. The association between acupuncture and response to immune checkpoint inhibitors in non-small cell lung cancer. Chin Med. 2025 Sep 19;20(1):145. [1] |
2Guangdong-Hong Kong-Macau Joint Lab on Chinese Medicine and Immune Disease Research, Guangzhou, China.
3Guangdong Provincial Key Laboratory of Clinical Research on Traditional Chinese Medicine Syndrome, Guangzhou, China.
4Guangzhou University of Chinese Medicine, Guangzhou, China..
L'étude
Contexte
Les inhibiteurs de points de contrôle immunitaires (ICI) ont changé le paysage thérapeutique du cancer du poumon non à petites cellules (NSCLC). Pourtant seuls un quart des patients environ en tirent un bénéfice net et durable, la majorité développant des résistances primaires ou secondaires. Des données émergentes suggèrent que l’acupuncture pourrait renforcer l’efficacité des inhibiteurs de points de contrôle immunitaire (ICI) en reprogrammant les microenvironnements tumoraux immunosuppresseurs.
Objectif
L’étude visait à explorer si l’ajout d’acupuncture était associé à de meilleurs résultats de survie chez des patients atteints de NSCLC recevant un traitement par ICI.
Méthode
Patients
L'étude rétrospective est conduite au Guangdong Provincial Hospital of Traditional Chinese Medicine. Elle a inclus 217 patients atteints d’un cancer du poumon non à petites cellules traités par inhibiteurs de points de contrôle immunitaire (anticorps anti-PD-1 dans 95 % des cas) entre janvier 2018 et décembre 2021, avec un suivi prolongé jusqu’en septembre 2023.
- Le groupe acupuncture regroupait les patients ayant commencé l’acupuncture avant la médiane de survie sans progression de la cohorte (8,87 mois) ;
- le groupe contrôle comprenait ceux n’ayant pas reçu d’acupuncture.
La survie sans progression correspond à la durée comprise entre le début du traitement et la première preuve de progression de la maladie, ou le décès s’il survient avant la progression. Elle mesure la période pendant laquelle la maladie reste stable ou contrôlée. Plus la médiane de survie sans progression est longue, plus le traitement retarde l’évolution de la maladie.
Dans une étude observationnelle, les patients qui survivent plus longtemps ont davantage d’occasions de recevoir un traitement complémentaire comme l’acupuncture en raison d’hospitalisations plus fréquentes ou d’un suivi prolongé. Cette exposition différée peut introduire un biais de temps immortel, c’est-à-dire une distorsion liée au fait que seuls les patients restés vivants et sans progression jusqu’à l’introduction du traitement peuvent y être exposés, ce qui crée artificiellement une impression de meilleur pronostic.
C’est pour limiter ce biais que Zhou et al. (2025) ont défini le groupe acupuncture comme les patients ayant commencé cette prise en charge avant la médiane de survie sans progression de la cohorte (8,87 mois).
Critères d’évaluation
Le temps 0 correspondait au début du traitement par ICI.
- La survie sans progression (PFS, Progression-Free Survival) correspond au délai entre ce temps 0 et la première preuve de progression de la maladie, définie selon les critères RECIST 1.1, ou le décès s’il survenait avant la progression.
- La survie globale (OS, Overall Survival) est mesurée à partir du début du traitement par ICI jusqu’au décès, quelle qu’en soit la cause.
Analyse statistique
Les courbes de Kaplan–Meier ont été comparées par test du log-rank, et les rapports de risque estimés par modèle de Cox. Un appariement par score de propension a permis d’équilibrer les groupes, avec imputation multiple des données manquantes (logiciel R, version 4.1.3).
Résultats
- Les patients ayant reçu l’acupuncture présentaient une survie sans progression médiane plus longue (10,2 contre 7,9 mois, p = 0,036, fig.1).
- La survie globale montrait une tendance favorable (24,1 contre 20,9 mois, fig.1) sans atteindre la significativité.
- Les bénéfices étaient particulièrement nets chez les patients avec métastases osseuses : réduction de 76 % du risque de progression et de 53 % du risque de décès.
- En revanche, chez les patients dont la tumeur exprimait fortement le PD-L1, un marqueur habituellement associé à une meilleure réponse aux immunothérapies, aucun bénéfice de l’acupuncture n’a été observé, et un signal non significatif suggérait une possible atténuation de la réponse aux ICI.
- Après ajustement par score de propension, l’acupuncture restait associée de manière indépendante à une meilleure survie sans progression.
Figure 1. Courbes de Kaplan–Meier comparant la survie des patients atteints de cancer du poumon non à petites cellules (NSCLC) selon l’exposition à l’acupuncture (Zhou et al., 2025).
(A) Survie sans progression (PFS) : le groupe acupuncture présente une survie significativement plus longue que le groupe contrôle (p = 0,036).
(B) Survie globale (OS) : tendance favorable dans le groupe acupuncture sans différence significative (p = 0,352).
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que l’acupuncture pourrait améliorer les résultats des patients atteints de NSCLC traités par ICI, surtout dans le contexte des métastases osseuses. Ils insistent toutefois sur la nécessité d’une stratification guidée par biomarqueurs, notamment le statut PD-L1, avant d’envisager une intégration systématique de l’acupuncture en oncologie.
Commentaires
Une amélioration de la survie après acupuncture ?
Dans un précédent article nous avions rapporté une cohorte sino-norvégienne montrant que la moxibustion pouvait améliorer la survie de patients atteints de cancer bronchique non à petites cellules (NSCLC) à un stade avancé et traités par une chimiothérapie à base de platine et/ou une thérapie ciblée par inhibiteur de tyrosine kinase (TKI) [2, 3].
L’étude de Zhou et al. (2025) ouvre une perspective nouvelle en évaluant l’acupuncture comme adjuvant aux immunothérapies dans le NSCLC. L’intérêt de ces travaux est de dépasser le cadre habituel des soins de support, centrés sur la qualité de vie et le soulagement des symptômes, pour interroger la possibilité d’un effet de l'acupuncture sur la survie elle-même.
Les deux études présentent toutefois plusieurs limites méthodologiques. Leur conception observationnelle, sans randomisation, ne permet pas d’établir de lien causal entre acupuncture ou moxibustion et amélioration de la survie. Le biais temporel constitue une faiblesse majeure : il a été partiellement contrôlé dans l’étude de Zhou et al. (2025) grâce à une définition stricte du moment d’exposition et à l’appariement par score de propension, mais il reste présent dans celle de Li et al. (2025), la moxibustion pouvant être introduite à tout moment du suivi, même si la courte survie des patients au stade avancé en limite l’ampleur. Le contrôle des facteurs confondants demeure également incomplet dans les deux cohortes, malgré les ajustements statistiques, en raison de données biologiques manquantes et de la diversité des traitements associés. Enfin, l’hétérogénéité des protocoles d’acupuncture ou de moxibustion, laissés à la discrétion des praticiens, limite la reproductibilité et fragilise l’interprétation des résultats.
Les deux études suggèrent un effet favorable — amélioration de la survie globale ou de la survie sans progression —, mais leurs conclusions demeurent exploratoires en raison de ces limites méthodologiques. Leur principale valeur est d’ouvrir la voie à des essais randomisés visant à questionner la place de l’acupuncture dans la survie des patients atteints de NSCLC.
Bases biologiques de l'action antitumorale de l'acupuncture
Le point de départ de l’étude de Zhou et al. (2025) réside dans des travaux expérimentaux menés chez l’animal [4, 5], montrant que l’acupuncture peut activer le microenvironnement immunitaire tumoral, moduler la production de cytokines pro- et anti-inflammatoires et favoriser la conversion de tumeurs « froides » en tumeurs « chaudes », plus sensibles à l’immunothérapie (encadré "Synergie acupuncture-immunothérapie"). L’étude clinique prolonge directement ces observations précliniques en évaluant si ces mécanismes se traduisent par un bénéfice mesurable chez l’homme traité par inhibiteurs de points de contrôle immunitaires.
Elle illustre ainsi une inversion du mouvement habituel de la recherche en acupuncture : alors qu’on cherchait jusqu’ici à expliquer biologiquement les effets observés en clinique ce sont désormais les résultats expérimentaux qui ouvrent la perspective d’une validation clinique. Cette approche s’inscrit pleinement dans une démarche de médecine translationnelle, reliant la preuve mécanistique du laboratoire à son évaluation thérapeutique et appelant la réalisation d’essais contrôlés randomisés pour en confirmer la portée clinique.
Synergie acupuncture–immunothérapie
le réchauffement immunitaire des tumeurs froides
Les inhibiteurs de points de contrôle immunitaire (ICI) représentent une avancée majeure en cancérologie. En bloquant la liaison entre PD-1 et PD-L1 (voir Figure 2), ils restaurent la capacité des lymphocytes T à éliminer les cellules tumorales. Leur efficacité dépend toutefois du microenvironnement tumoral, qui peut être « froid » — pauvre en cellules T et dominé par des signaux immunosuppresseurs — ou « chaud », caractérisé par une forte infiltration de lymphocytes T CD8⁺, un signal d’interférons (type I et IFN-γ) et des chimiokines favorisant le recrutement des cellules T. Seules les tumeurs « chaudes » répondent pleinement à l’immunothérapie. Dans cette perspective, l’acupuncture pourrait contribuer à « réchauffer » le microenvironnement tumoral en modulant les circuits neuro-immunitaires et les voies inflammatoires qui conditionnent l’activation des cellules T.
Zhang et al. (2021, Life Sciences [4]) ont exploré ce rôle neuro-immunitaire dans un modèle murin de cancer du sein. L’électroacupuncture au 36E a activé le nerf vague et régulé les cytokines pro-inflammatoires IL-1β et TNF-α avec restauration de l’activité des lymphocytes T CD8⁺ et des cellules NK (voir Figure 3).
Wang et al. (2024, Cancer Immunology Research [5]) ont directement évalué la combinaison électroacupuncture + anti-PD-1 dans un modèle de cancer colorectal microsatellite stable, habituellement résistant à l’immunothérapie. L’association a réduit la croissance tumorale et activé la voie STING induisant IFN-β et le recrutement de lymphocytes T cytotoxiques (voir Figure 4).
Xu et al. (2025, Nutrition and Cancer [6]) ont ajouté une dimension cellulaire : augmentation des cellules dendritiques CD5⁺, essentielles à l’activation coordonnée des lymphocytes T CD4⁺/CD8⁺, renforçant la synergie entre acupuncture et anti-PD-1.
Dans l’ensemble, ces travaux suggèrent que l’acupuncture agit comme un amplificateur physiologique des réponses immunitaires antitumorales contribuant à transformer un microenvironnement tumoral « froid » en « chaud » et à optimiser l’efficacité des ICI. Cette hypothèse éclaire les résultats de Zhou et al. (2025) : effet plus marqué de l’acupuncture chez les patients porteurs de métastases, dont les tumeurs sont le plus souvent immunologiquement « froides », et absence d’effet chez ceux à forte expression de PD-L1, déjà répondeurs aux immunothérapies dans un contexte « chaud » où l’acupuncture ne peut plus exercer d’effet synergique.
Figure 2 – Mécanisme d’action des traitements anti-PD-1 et anti-PD-L1 (INCa)
À gauche, dans la situation pathologique initiale, la cellule cancéreuse exprime PD-L1 à sa surface ; cette molécule se lie au récepteur PD-1 de la cellule immunitaire et bloque leur activité cytotoxique.
À droite, les anticorps monoclonaux anti-PD-1 ou anti-PD-L1 interrompent cette interaction, permettant à la cellule immunitaire de reconnaître et détruire la cellule cancéreuse.
Figure 3 – Action antitumorale de l’acupuncture par régulation neuro-immunitaire (Zhang et al., 2021)
Inhibition des cytokines pro-inflammatoires IL-1β et TNF-α.
Restauration de l’activité cytotoxique des lymphocytes T CD8⁺ et des cellules NK.
Diminution de l’infiltration des cellules myéloïdes suppressives (MDSC).
Figure 4 – Synergie acupuncture–immunothérapie par activation de la voie STING (Wang et al., 2024)
À gauche du visuel, le traitement anti-PD-1 seul montre un microenvironnement tumoral « froid » (représenté en bleu) : les cellules myéloïdes suppressives (MDSC, à forte activité immunosuppressive) occupent l’espace intratumoral tandis que les cellules NK et les lymphocytes T CD8⁺ restent en périphérie, incapables d’infiltrer la tumeur. La réponse cytotoxique est bloquée et la tumeur demeure non réactive au traitement.
Au centre du schéma, l’électroacupuncture « réchauffe » le microenvironnement tumoral (représenté en rouge) et la tumeur devient sensible au traitement anti-PD-1. On observe une infiltration dense de cellules NK et T CD8⁺, la présence de cellules tumorales lysées et une raréfaction des MDSC, témoignant d’une réactivation locale de l’immunité antitumorale.
Le panneau de droite détaille le mécanisme de cette synergie : l’électroacupuncture provoque l’activation de la voie STING dont le déclenchement dépend de l’ADN libéré par les cellules tumorales lysées. Cette activation entraîne la production d’interféron β et la libération de signaux chimiotactiques qui recrutent et activent les lymphocytes infiltrant la tumeur (TILs) rétablissant ainsi une réponse immunitaire antitumorale efficace.
L'essentiel à retenir
Une étude de cohorte rétrospective suggère une amélioration de la survie sans progression chez des patients atteints de cancer du poumon non à petites cellules (NSCLC) traités par inhibiteurs de points de contrôle immunitaires (ICI) associés à l’acupuncture.
Elle s’appuie sur des travaux expérimentaux montrant la possibilité d’une synergie acupuncture–ICI liée à une modulation du microenvironnement tumoral favorable à l’action des ICI.
Ces résultats ouvrent la voie à des essais cliniques randomisés destinés à évaluer directement l’impact de l’acupuncture sur la survie et non plus seulement sur ses effets symptomatiques ou sur la qualité de vie.
Dr Johan Nguyen
Références
- Zhou R, Zhu YJ, He YH, Lin JJ, Zhang ZX, Zhao WJ, Ma HC, Chang XS, Chen YD, Li WZ, Chen X, Chai XS, Zhang HB. The association between acupuncture and response to immune checkpoint inhibitors in non-small cell lung cancer. Chin Med. 2025 Sep 19;20(1):145. https://doi.org/10.1186/s13020-025-01148-4 🔓
- Li H, Lindberg V, Zhu L, Huang X, Feng J, Baak JPA. Moxibustion Treatment, Alongside Conventional Western and Chinese Herbal Medical Therapies, May Improve Survival in Stage-IV Pulmonary Adenocarcinomas in a Dosage-Dependent Manner: A Prospective Observational Study With Propensity Score Analysis. Integr Cancer Ther. 2025 Jan-Dec;24:15347354251342739. https://doi.org/10.1177/15347354251342739 🔓
- Nguyen J. La moxibustion améliore la survie dans le cancer pulmonaire avancé. Acupuncture Preuves & Pratiques. Juin 2025. https://gera.fr/moxibustion-et-cancer-du-poumon/ 🔓
- Zhang Z, Yu Q, Zhang X, Wang X, Su Y, He W, Li J, Wan H, Jing X. Electroacupuncture regulates inflammatory cytokines by activating the vagus nerve to enhance antitumor immunity in mice with breast tumors. Life Sci. 2021 May 1;272:119259. https://doi.org/10.1016/j.lfs.2021.119259 🔓
- Wang H, Wang X, Li Z, Chen J, Zhang Y, Liu Y, Li W, Zhao L, Wang F, Yang J, et al. Combination of anti–PD-1 and electroacupuncture induces a potent antitumor immune response in microsatellite-stable colorectal cancer. Cancer Immunol Res. 2024 Jan;12(1):26-35. https://doi.org/10.1158/2326-6066.CIR-23-0309
- Xu J, Li N, Zhao Q, Chen X, Tang Y, Liu Z, Yang L, Sun H, Zhou W, Zhang X. Acupuncture potentiates anti–PD-1 efficacy by promoting CD5⁺ dendritic cells and T cell–mediated tumor immunity in a mouse model of breast cancer. Nutr Cancer. 2025 Jan 14;1-12. https://doi.org/10.1080/01635581.2025.2517737
Mots-clés : Oncologie - Pneumologie
