Ko SJ1, Kim K1, Kaptchuk TJ2, Napadow V3, Kuo B4, Gerber J5, Ha NY1, Lee J6, Kelley JM7, Park JW8, Kim J9. Influence of patient-clinician relationship style on acupuncture outcomes in functional dyspepsia: A multi-site randomized controlled trial in Korea. Patient Educ Couns. 2024 Apr;121:108133. [1] |
2Program in Placebo Studies, Beth Israel Deaconess Medical Center, Harvard Medical School, Boston, MA, USA.
3Martinos Center for Biomedical Imaging, Department of Radiology, Massachusetts General Hospital, Harvard Medical School, Boston, MA, USA; Department of Physical Medicine and Rehabilitation, Spaulding Rehabilitation Network, Harvard Medical School, Boston, MA, USA.
4Gastroenterology Unit, Center for Neurointestinal Health, Massachusetts General Hospital, Harvard Medical School, Boston, MA, USA.
5Martinos Center for Biomedical Imaging, Department of Radiology, Massachusetts General Hospital, Harvard Medical School, Boston, MA, USA.
6Department of Sasang Constitutional Medicine, College of Korean Medicine, Kyung Hee University, Seoul, the Republic of Korea.
7Program in Placebo Studies, Beth Israel Deaconess Medical Center, Harvard Medical School, Boston, MA, USA; Psychology Department, Endicott College, Beverly, MA, USA.
8Department of Gastroenterology, College of Korean Medicine, Kyung Hee University, Seoul, the Republic of Korea. Electronic address: pjw2907@khu.ac.kr.
9Department of Gastroenterology, College of Korean Medicine, Kyung Hee University, Seoul, the Republic of Korea. Electronic address: oridoc@khu.ac.kr.
L'étude
Objectif
Comparer les effets de deux approches différentes de relation praticien-patient sur les résultats d'un traitement par acupuncture pour dyspepsie fonctionnelle.
Lieu
Étude menée en Corée dans deux centres universitaires : l'Hôpital Universitaire de Kyung Hee à Gangdong et le Centre Médical Universitaire de Kyung Hee.
Patients
Critères d'inclusion principaux :
- adultes âgés de 20 à 65 ans ;
- répondant aux critères de Rome III pour le syndrome de détresse postprandiale, sous-type de dyspepsie fonctionnelle avec symptômes liés aux repas : plénitude postprandiale et satiété précoce ;
- symptômes présents depuis au moins six mois, et survenus au moins trois jours par semaine au cours des trois mois précédents ;
- avec un score des symptômes > 40 pts sur l'échelle visuelle analogique de 100 pts.
Intervention.
73 patients sont inclus dans l'étude. Ils reçoivent tous le même traitement par acupuncture de 8 séances sur 4 semaines (tableau I) .
Mais les patients sont randomisés en deux groupes avec contextes de soins différents :
- Groupe avec interaction praticien-patient augmentée.
- Groupe avec interaction praticien-patient minimale.
Interaction praticien-patient augmentée
La relation praticien-patient augmentée associe deux composantes : 1) une évaluation holistique des paramètres physiques, psycho-émotionnels, sociaux et existentiels/spirituels, et 2) des améliorations contextuelles incluant l'attente positive, l'attention empathique, le silence réfléchi, la chaleur et le soutien, l'écoute attentive et le toucher thérapeutique (diagnostic par le pouls et la langue). Ces améliorations spécifiques sont utilisées à différents moments de manière naturelle pendant les entretiens. Le praticien réalise ensuite la séance d'acupuncture et le patient laissé dans une pièce au calme pendant 20 minutes. Au retrait des aiguilles quelques mots d'encouragement sont échangés.
Interaction praticien-patient minimale
Aucune question d'ordre psycho-émotionnel, social ou existentiel/spirituel n'est soulevée, aucune amélioration contextuelle n'est engagée. Les patients reçoivent des retours principalement avec de courtes répliques impliquant des termes tels que « hum » ou « ok ». Les gestes comme la prise du pouls ou l'examen de la langue sont exclus. Le traitement par acupuncture se déroule sur 20 minutes sans aucune communication supplémentaire entre le praticien et les patients. Le praticien s'efforce de maintenir une posture naturelle afin de préserver la validité du traitement.
Le descriptif détaillé des deux types d'interaction est rapporté dans le tableau II.
Interaction augmentée | Interaction minimale |
---|---|
1. Style chaleureux et amical | 1. Style neutre et impersonnel |
- Serrer la main | - Ne pas initier de poignée de main |
- Remercier le patient pour sa participation à l'étude | - Ne pas remercier le patient pour sa participation |
- Utilisation fréquente du nom du patient | - Utilisation peu fréquente du nom du patient |
- S'asseoir face à face, sans être séparé par un bureau | - S'asseoir séparé par un bureau |
- Sourire de manière appropriée | - Limiter les sourires |
- Utilisation appropriée de l'humour | - Éviter l'humour |
2. Attentif | 2. Distrait |
- Contact visuel fréquent | - Contact visuel peu fréquent |
- Se penche en avant aux moments appropriés | - La posture corporelle exprime la distance |
- Utilisation appropriée des hochements de tête | - Utilisation minimale des hochements de tête |
- Utilisation limitée de l'ordinateur ou du presse-papiers | - Utilisation fréquente de l'ordinateur ou du presse-papiers |
3. Écoute active | 3. Écoute active minimale |
- Questions ouvertes qui mettent l'accent sur l'expérience de la maladie par le patient | - Questions fermées (oui ou non) |
- Éviter d'interrompre le patient | - Interrompre le patient pour rester sur le script |
- Le patient parle plus que le clinicien | - Le clinicien parle le plus |
- Permettre un certain silence pour la contemplation | - Remplir rapidement les silences |
- Réflexions | - Éviter les réflexions |
- Clarifications | - Éviter les clarifications |
4. Contenu personnalisé | 4. Contenu générique |
- Le clinicien encouragera le patient à parler la majeure partie du temps | - Le clinicien dominera l'entrevue, parlant la majeure partie du temps |
- L'explication de la maladie et du traitement par le clinicien sera personnalisée, en utilisant autant que possible les propres mots du patient | - L'explication de la maladie et du traitement par le clinicien sera générique, sans personnalisation pour le patient |
5. Connexion empathique | 5. Empathie et connexion réduites |
- Partenariat (Nous travaillerons ensemble) | - Pas d'expression de partenariat |
- Empathie (Cela a dû être douloureux) | - Pas d'expression d'empathie (mais pas de dureté) |
- Valider les émotions | - Éviter le contenu émotionnel |
6. Mirroring | 6. Absence de Mirroring |
- Reprise de la prosodie du patient (volume, rythme, intonation) | - Aucun effort de reprise de la prosodie du patient |
- Éviter le jargon médical | - Utiliser le jargon médical |
- Utiliser un vocabulaire familier au patient | - Aucun effort pour utiliser un vocabulaire familier au patient |
Critères d'évaluation :
- Le critère principal est le score à l'Indice de Dyspepsie de Nepean à 25 items (NDI), dans sa version coréenne ( NDI-K).
- Les critères secondaires incluent diverses autres mesures dont le questionnaire CARE évaluant la qualité de la relation praticien-patient perçue par la patient (cf. infra).
Résultats
- Les deux groupes montrent une amélioration sur le score au NDI-K.
- Mais le résultat avec une approche praticien-patient minimale est supérieur à une approche augmentée.
- Aucune différence significative entre les groupes dans tous les résultats secondaires (dont le questionnaire CARE).
Conclusion des auteurs
En Corée, les patients ont montré une meilleure amélioration avec un traitement par acupuncture réalisé avec une relation praticien-patient minimale. Ce résultat n'est pas en accord avec les résultats de recherches similaires menées dans les pays occidentaux et suggère que la relation médecin-patient possède des dimensions culturelles importantes. Il est nécessaire d'établir une ligne directrice pour la relation médecin-patient adaptée aux différents contextes culturels.
Commentaires
L'impact du culturel
- Contrairement à ce qui était attendu une interaction minimale s'est montrée supérieure à une interaction augmentée. Une étude antérieure similaire sur des patients américains avait montré l'inverse dans le traitement par acupuncture du syndrome du colon irritable [2].
- Les auteurs attribuent ce résultat au contexte culturel asiatique. Ils relèvent des études mettant en avant trois différences culturelles entre l'Orient et l'Occident affectant les soins et la relation médecin-patient :
- Lors de la prise de décisions thérapeutiques, les cultures asiatiques accordent une grande valeur à la prise de décision familiale (collectivisme), tandis que les cultures occidentales modernes mettent l'accent sur les besoins individuels (individualisme).
- Les patients asiatiques préfèrent exprimer leurs opinions en utilisant des expressions indirectes ou une communication non verbale. En contraste, les informations pertinentes sont explicitement déclarées dans la culture occidentale moderne.
- Les relations médecin-patient hiérarchiques, paternalistes et asymétriques en Asie (confucianisme) contrastent avec les notions modernes centrées sur le patient de relations non hiérarchiques, individuelles et d'égalité dans les pays occidentaux.
- Une étude coréenne mentionnée indique que les patients n'adoptent des comportements de communication active que dans moins de 9% de leurs échanges verbaux. Près de la moitié des patients ne posent aucune question.
- Une étude comparative sur les soins de santé a montré un pourcentage plus faible de temps consacré à la conversation sociale au Japon (5 %) par rapport aux États-Unis (12 %), reflétant une préférence pour la communication non verbale et indirecte dans les pays asiatiques. Les consultations sont plus courtes, avec un plus grand nombre de silences/pauses. Au japon 29% de la consultation est consacré à l'examen physique contre 12% aux USA.
- Ainsi, la relation médecin - patient ne peut pas être abordée de manière dogmatique du simple point de vue occidental mais être nuancée en tenant compte de la diversité culturelle.
Effet nocebo d'une interaction enrichie
- Non seulement une interaction enrichie n'a pas montré de supériorité par rapport à une interaction minimale, mais elle s'est même révélée inférieure. C'est à dire que l'interaction enrichie a eu un effet nocebo sur le patient coréen. On peut penser qu'un questionnement sur des éléments psychologiques, sociaux ou existentiels/spirituels a été vécu de façon excessivement intrusive.
- Il est particulièrement remarquable d'observer l'absence de différence entre les deux groupes dans le score au questionnaire CARE (Consultation And Relation Empathy, tableau III). Cela met bien en évidence l'absence d'attente particulière du patient coréen sur le sujet.
Comment le docteur s'est-il montré pour… |
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1- Vous mettre à l'aise |
2- Vous laisser raconter votre histoire |
3- Vous écouter réellement |
4- S'intéresser à vous en tant que personne complète |
5- Comprendre pleinement vos préoccupations |
6- Montrer de la sollicitude et de la compassion |
7- Être positif |
8- Expliquer les choses clairement |
9- Vous aider à prendre le contrôle |
10- Élaborer un plan d'action avec vous |
La réalité des pratiques et des traditions médicales asiatiques
L'équipe qui a réalisé l'étude est mixte avec des chercheurs américains et coréens. Ils utilisent le terme de "style occidental" pour désigner l'approche augmentée, également énoncée "centrée sur le patient", et "style oriental" pour l'approche minimale, également énoncée "centrée sur la pathologie". Il y a un accord entre américains et coréens pour voir l'approche augmentée comme une caractéristique occidentale, extérieure à la tradition médicale asiatique.
Il est facile pour tout observateur de faire le constat qu'en Chine, Vietnam ou Japon, comme en Corée la consultation d'acupuncture est une consultation technique ciblée et courte visant à réunir les éléments de prise de décision thérapeutique propres à l'acupuncture (particulièrement les éléments relatifs à la différenciation des zheng). Dans ces éléments de prise de décision l'histoire personnelle du patient, son environnement social et familial, son intimité psychique ou sa spiritualité sont à l'évidence absents et hors sujet.
La meilleure illustration de cela sont les collections d'études de cas par les grands praticiens de médecine chinoise que ce soit dans la littérature classique ou moderne [3-6]. Le même constat peut également être fait dans l'analyse des modalités de l'interrogatoire dans les textes classiques [7] ou modernes [8]. La sémiologie d'ordre psychologique elle-même y est réduite à des items généraux élémentaires et vagues, très pauvres d'un point de vue descriptif ("peur", "anxiété", "soucis", "dépression", "irritabilité"… ) comparativement au foisonnement de la sémiologie occidentale.
Le mythe occidental de l'acupuncture comme médecine intégrative
Le paradoxe est qu'en Occident, au contraire, l'acupuncture est considérée comme paradigmatique d'une médecine intégrative censée aborder et traiter le patient dans toutes ses dimensions (le corporel, le psychologique et le spirituel, "les trois niveaux de l'homme"). Les caractéristiques de la médecine chinoise seraient l'approche globale, "holistique" du patient et le temps d'écoute qui en découlerait. Elle s'opposerait ainsi à la médecine occidentale, médecine technique et d'organe.
L'étude met en évidence que ce qui est en fait une psycho-spiritualisation de l'acupuncture est une inversion et une construction occidentale. Elle soulève des questions sur la manière dont les pratiques médicales asiatiques sont interprétées, transformées, voire réinventées pour répondre à des besoins, des attentes et des objectifs idéologiques spécifiquement occidentaux.
Alors qu'en Asie l'acupuncture est ancrée dans une tradition médicale empirique et pragmatique, axée sur des objectifs thérapeutiques précis, l'Occident a tendance à l'envelopper dans une aura de mystique, d'exotisme et de spiritualité. Cette transformation n'est pas simplement une question de malentendu culturel ; elle représente une reconstruction délibérée de l'acupuncture pour l'insérer dans ce que l'on appelle maintenant les médecines intégratives (homéopathie, anthroposophie…) avec comme dénominateur commun la mise à distance du biologique au profit de la fiction d'un global "somato-psycho-spirituel".
Ce processus d'acculturation a débuté dès la réception de l'acupuncture en France dans les années 1930, où elle a été réinterprétée à travers le prisme de courants spirituels et anti-scientifiques [9], qui ont culminé ensuite dans les années 1970 avec le mouvement New Age.
Cette construction occidentale de l'acupuncture comme symbole d'une médecine holistique et intégrative répond à des objectifs idéologiques doubles. D'une part elle trace une frontière fictive avec la médecine scientifique conventionnelle, critiquée pour son approche jugée trop fragmentée et mécaniste de la santé. D'autre part elle ouvre la voie à une spiritualisation des soins, offrant aux patients occidentaux une forme de thérapeutique qui prétend traiter non seulement le corps mais aussi l'esprit et l'âme, dans une quête de bien-être global.
Mais en inscrivant l'acupuncture dans un contexte idéologique qui dépasse sa nature de technique médicale, cette réinterprétation engendre d'inévitables controverses avec des conséquences délétères sur le débat scientifique et le statut de ses praticiens. C'est un enjeu professionnel [10].
De même, l'énoncé dans un cadre médical, académique ou d'enseignement de cette réinterprétation comme étant la forme originelle et "authentique" de l'acupuncture, tout en dépeignant l'acupuncture en Chine contemporaine comme une version altérée et abusivement scientificisée est une manipulation posant une question éthique [11].
Conclusions
- Il faut faire la distinction entre l'acte technique thérapeutique lui-même et le contexte de sa dispensation.
- Ce contexte selon sa nature et selon le patient peut interférer positivement ou négativement avec l'acte technique.
- L'acupuncture comme paradigmatique d'une médecine intégrative où l'acte thérapeutique serait ontologiquement lié à une approche psycho-spirituelle et à un contexte augmenté est une inversion et une construction idéologique occidentale.
Dr Johan Nguyen
Références
- Ko SJ, Kim K, Kaptchuk TJ, Napadow V, Kuo B, Gerber J, Ha NY, Lee J, Kelley JM, Park JW, Kim J. Influence of patient-clinician relationship style on acupuncture outcomes in functional dyspepsia: A multi-site randomized controlled trial in Korea. Patient Educ Couns. 2024 Apr;121:108133. |doi| 🔓
- Kaptchuk TJ, Kelley JM, Conboy LA, Davis RB, Kerr CE, Jacobson EE, Kirsch I, Schyner RN, Nam BH, Nguyen LT, Park M, Rivers AL, McManus C, Kokkotou E, Drossman DA, Goldman P, Lembo AJ. Components of placebo effect: randomised controlled trial in patients with irritable bowel syndrome. BMJ. 2008 May 3;336(7651):999-1003. |doi|🔓
- Chen Jirui, Missi Wang. Acupuncture : Observations cliniques en Chine. Bruxelles: Satas; 1992.
- Li Yi Zheng, Tian Guan Chen. Case studies (1 & 2). San Francisco: Harmonious Sunshine Cultural Center; 1985.
- Chace C. Fleshing out the bones: case histories in the practice of Chinese medicine. Boulder: Blue Poppy Press; 1993.
- China Academy of Chinese Medical Science. Yue Mei-zhong, Collected Case Studies. Beijing: People’s Medical Publishing House; 2007.
- Auteroche B. L’art d’interroger ou la chanson des 10 questions. Méridiens. 1982;(59-60):17-49.
- Wang Q, Zhu YB, Xue HS, Li S. [Primary compiling of constitution in Chinese Medicine Questionnaire]. Chin J Clin Rehab. 2006;10(3):12–4. |doi|
- Nguyen J. La réception de l’acupuncture en France, une biographie revisitée de George Soulié de Morant (1878-1955). Paris: l’Harmattan. 2012: 220p. [extraits 🔓]
- Nguyen J. La médecine intégrative et la psycho-spiritualisation de l’acupuncture. Acupuncture Preuves & Pratiques. Décembre 2022. |URL| 🔓
- Nguyen J. Rompre avec le discours ésotérique dans notre champ professionnel : un impératif éthique. Acupuncture & Moxibustion. 2017;16(1):67-78. [189898]. |URL| 🔓
Mots-clés : Gastro-entérologie - Médecine intégrative - Relation médecin-patient