
Revue systématique avec méta-analyse en réseau
Yu R1, Deng X1, Hu N1, Chen DX1. Comparative effectiveness of diverse strategies for the prevention or treatment of epidural-related maternal fever: a systematic review and network meta-analysis of randomized controlled trials. Am J Obstet Gynecol. 2025 Jul 23:S0002-9378(25)00491-0. [1] |
L'étude
Contexte
La fièvre maternelle liée à la péridurale (ERMF, Epidural-Related Maternal Fever) survient en période intrapartum chez des femmes recevant une analgésie péridurale. Elle touche jusqu’à un quart des parturientes. Cette fièvre entraîne une surmédicalisation maternelle et néonatale. Aucune stratégie préventive n’a encore fait consensus.
Objectif
Comparer l’efficacité des différentes interventions destinées à prévenir ou traiter l’ERMF à partir des données d’essais contrôlés randomisés.
Méthode
Une revue systématique, couplée à une méta-analyse en réseau (▶1), a été conduite à partir de 34 essais contrôlés randomisés totalisant 8086 parturientes. Dix-sept interventions distinctes visant à prévenir ou traiter l’ERMF ont été comparées.
Les approches évaluées appartiennent à trois grandes catégories :
- des ajustements techniques de l’analgésie péridurale (modification de la concentration en anesthésique local, administration par bolus intermittent versus perfusion continue, ou utilisation du contrôle patient),
- des médications prophylactiques (corticoïdes, antipyrétiques, antibiotiques, tocolytiques),
- des techniques d’acupuncture (électroacupuncture, acupuncture auriculaire).
Les données extraites ont permis de calculer, pour chaque intervention, un odds ratio (rapport de cotes ▶2) estimant le risque de survenue de fièvre intrapartum, ainsi qu’un score SUCRA (▶3) classant les interventions selon leur probabilité d’être les plus efficaces.
Résultats
Le classement SUCRA (▶3) a permis de hiérarchiser les interventions selon leur efficacité à réduire l’incidence de la fièvre intrapartum. Trois approches sont apparues comme les plus performantes :
- acupuncture auriculaire : OR = 0,32 [0,15–0,68], SUCRA = 90,4 %
- électroacupuncture : OR = 0,43 [0,19–0,96], SUCRA = 84,1 %
- corticoïdes prophylactiques : OR = 0,45 [0,21–0,94], SUCRA = 81,8 %
Certaines modalités de péridurale étaient associées à un risque de fièvre modérément réduit tandis que d’autres, en particulier les techniques les plus intensives, entraînaient un risque significativement accru (OR jusqu’à 5,28 ; score SUCRA < 30 %).
1. Qu’est-ce qu’une méta-analyse en réseau ?
Une méta-analyse en réseau (network meta-analysis) permet de comparer plusieurs interventions, même si elles n’ont pas toutes été directement confrontées dans des essais randomisés.
Elle s’appuie sur un réseau de comparateurs — par exemple, si l’étude A compare l’acupuncture au placebo et l’étude B compare les corticoïdes au placebo, on peut déduire une comparaison indirecte entre acupuncture et corticoïdes.
Ce type d’analyse permet d’établir une hiérarchie d’efficacité entre les interventions, utile lorsqu’aucune stratégie n’est clairement dominante.
2. Qu’est-ce qu’un odds ratio (rapport de cotes) ?
L’odds ratio (OR), ou rapport de cotes, est une mesure statistique utilisée pour comparer la probabilité qu’un événement survienne dans un groupe d’intervention par rapport à un groupe témoin.
Un OR égal à 1 signifie que les deux groupes ont le même risque. Un OR inférieur à 1 indique que l’intervention réduit le risque ; un OR supérieur à 1 indique un risque accru.
Par exemple, l’électroacupuncture présente un OR de 0,43 pour la prévention de la fièvre intrapartum : cela signifie que le risque est réduit de 57 % par rapport au groupe témoin (recevant la péridurale seule).
Les OR sont les données de base utilisées dans les méta-analyses pour quantifier l’efficacité des interventions.
3. Qu’est-ce que le classement SUCRA ?
Le SUCRA (Surface Under the Cumulative Ranking) est un indicateur exprimé en pourcentage utilisé pour classer les interventions dans une méta-analyse en réseau.
Un score SUCRA proche de 100 % signifie que l’intervention a une forte probabilité d’être la plus efficace ; à l’inverse, un score proche de 0 % indique une efficacité faible relative.
Par exemple, dans la revue de Yu et al. (2025), l’électroacupuncture a obtenu un score SUCRA de 84,1 %. Cela signifie qu’elle a 84 chances sur 100 d’être parmi les interventions les plus efficaces pour prévenir la fièvre intrapartum liée à la péridurale.
Le classement SUCRA offre ainsi une lecture synthétique des résultats en hiérarchisant les options thérapeutiques selon leur performance globale.
Conclusion des auteurs
L’acupuncture auriculaire et l’électroacupuncture apparaissent comme des stratégies prometteuses pour réduire l’ERMF. Ces données, bien que préliminaires, justifient des essais de confirmation. En l’état, ces approches figurent parmi les plus efficaces disponibles.
Commentaires
L’étude est publiée dans l’American Journal of Obstetrics and Gynecology (AJOG), revue de référence et classée au premier rang dans le domaine de l’obstétrique (Impact Factor 2024 : 8,4).
La fièvre maternelle liée à la péridurale
La fièvre intrapartum est une complication fréquente de l’analgésie péridurale, survenant chez 15 à 25 % des femmes pendant le travail (Patel 2022 [2]). Elle se définit par une température corporelle centrale égale ou supérieure à 38 °C, bien que certains auteurs proposent un seuil de vigilance abaissé à 37,5 °C dans ce contexte. Ce phénomène ne s’observe pas chez les femmes recevant une péridurale dans le cadre d’une césarienne, ce qui suggère une interaction spécifique entre le travail et les effets de la péridurale.
Décrite dès 1989, la fièvre maternelle liée à la péridurale (ERMF) reste imparfaitement comprise. Les données les plus récentes confirment son caractère non infectieux dans la majorité des cas et plusieurs hypothèses physiopathologiques ont été formulées (Patel 2022 [2]). L’hypothèse principale repose sur une réponse inflammatoire stérile, probablement induite par l’administration continue d’anesthésiques locaux, avec élévation des cytokines pro-inflammatoires, en particulier l’interleukine-6 (IL-6). Cette réponse semble favorisée par la durée d’exposition à la péridurale. Une seconde piste concerne une altération de la thermorégulation, liée au blocage du système nerveux sympathique, qui réduirait la capacité de dissipation de la chaleur corporelle. Des facteurs additionnels comme l’administration d’opioïdes, la température ambiante élevée et l’intensité du travail ont également été discutés.
Si l’ERMF n’est en elle-même ni sévère ni prolongée, ses conséquences cliniques peuvent être importantes. Elle entraîne souvent une suspicion d’infection materno-fœtale conduisant à une prescription d’antibiothérapie empirique chez la mère et le nouveau-né. Elle est également associée à une augmentation du taux de césariennes et à une élévation du taux d’admissions en soins intensifs néonataux. Certaines études suggèrent un lien entre fièvre intrapartum et un risque accru de troubles neurologiques néonataux bien que cette association reste discutée.
Dans un contexte où l’analgésie péridurale est largement utilisée, une meilleure compréhension de ce phénomène, de ses facteurs favorisants et de ses implications cliniques reste un enjeu de santé publique.
Prévention et traitement
Une revue systématique récente (Cartledge et al., 2022 [3]) confirme l’absence de stratégie validée pour prévenir ou traiter la fièvre maternelle liée à la péridurale (ERMF) mais identifie plusieurs approches prometteuses. L’administration par bolus intermittent plutôt que par perfusion continue semble réduire le risque de fièvre. L’utilisation précoce de paracétamol pourrait également avoir un effet bénéfique. Les corticoïdes sont débattus du fait de résultats inégaux et d’effets secondaires possibles. Les antibiotiques ne sont pas justifiés dans un contexte non infectieux.
Face à l’incertitude thérapeutique, il apparaissait pertinent d’évaluer le potentiel de l’acupuncture en tant qu’approche préventive complémentaire.
L'acupuncture
La revue de Yu R et al. (2025), rapportée ici, inclut quatre essais contrôlés randomisés évaluant l’effet préventif de l’acupuncture sur la fièvre maternelle liée à la péridurale : deux portent sur l’électroacupuncture (Xiao J et al., 2019 [4] et Chen WY et al, 2022 [5]), deux sur l’acupression auriculaire (Wen T et al, 2020 [6, 7]). En réalité, ces deux derniers essais correspondent à une même étude publiée dans deux revues différentes avec de légères variations. La duplication de cet essai impacte les résultats de la méta-analyse en réseau et ne permet pas de retenir les conclusions quant à l’acupression auriculaire. Il reste que l’acupuncture, entendue d’un point de vue générique, se positionne en tête du classement SUCRA.
Il faut observer que la fièvre intrapartum est définie comme critère principal d’évaluation dans deux de ces ECR [5, 6], ce qui signifie qu’elle constitue l’objectif explicite de l’intervention préventive. Cela se manifeste dans l’essai de Chen WY et al, 2022 [5] par l’inclusion du 11GI classiquement utilisé pour ses effets antipyrétiques. À l’inverse, dans l’étude Xiao J et al., 2019 [4], c’est la douleur qui constitue le critère principal ; la fièvre y est seulement mesurée comme critère secondaire, et les points utilisés relèvent du protocole classique d’analgésie obstétricale, sans ciblage spécifique apparent de la fièvre.
Par ailleurs, les mêmes essais avec la fièvre comme critère principal [5, 6] rapportent une élévation moins marquée des interleukines pro-inflammatoires, notamment l’IL-6, dans les groupes ayant reçu une acupuncture. Ces résultats suggèrent un effet modulateur de l’acupuncture sur la réponse inflammatoire stérile induite par la péridurale.
Protocole des études
Xiao 2019 [4]
Chen 2021 [5]
Wen 2020 [6]
L'essentiel à retenir
Une revue systématique avec méta-analyse en réseau souligne l’intérêt de l’acupuncture, comparativement aux autres stratégies évaluées, dans la prévention de la fièvre liée à la péridurale.
Bien que le niveau de preuve reste encore limité, ce résultat présente un intérêt particulier du fait de l’absence de stratégie préventive validée et justifie la poursuite d’évaluations cliniques de plus grande envergure.
Il s’agit d’une indication potentielle novatrice, susceptible d’élargir le champ d’application de l’acupuncture en obstétrique et plus particulièrement en salle de travail.
Dr Johan Nguyen
Références
- Yu R, Deng X, Hu N, Chen DX. Comparative effectiveness of diverse strategies for the prevention or treatment of epidural-related maternal fever: a systematic review and network meta-analysis of randomized controlled trials. Am J Obstet Gynecol. 2025 Jul 23:S0002-9378(25)00491-0. https://doi.org/10.1016/j.ajog.2025.07.029 🔓
- Patel S, Ciechanowicz S, Blumenfeld YJ, Sultan P. Epidural-related maternal fever: incidence, pathophysiology, outcomes, and management. Am J Obstet Gynecol. 2023 May;228(5S):S1283-S1304.e1. https://doi.org/10.1016/j.ajog.2022.06.026 🔓
- Cartledge A, Hind D, Bradburn M, Martyn-St James M, Davenport S, Tung WS, Yung H, Wong J, Wilson M. Interventions for the prevention or treatment of epidural-related maternal fever: a systematic review and meta-analysis. Br J Anaesth. 2022 Oct;129(4):567-580.https://doi.org/10.1016/j.bja.2022.06.022🔓
- Xiao J, Yi W, Wu L. Effects of electroacupuncture on reducing labor pain and complications in the labor analgesia process of combined spinal-epidural analgesia with patient-controlled epidural analgesia. Arch Gynecol Obstet. 2019 Jan;299(1):123-128. https://doi.org/10.1007/s00404-018-4955-6
- Chen WY, Li ZC, Xi SP, Zhang LX. [Effect of transcutaneous electrical acupoint stimulation on epidural-related maternal fever in parturients undergoing epidural labor analgesia]. Zhen Ci Yan Jiu. 2021 Jul 25;46(7):586-91.
- Wen T, Li G, Chen SB, Liu J. [Effect of auricular magnetic bead pressing on maternal body temperature, inflammatory response and placental pathological results in labor analgesia]. Zhen Ci Yan Jiu. 2020 Dec 25;45(12):1010-3.
- Wen T, Li G, Chen SB, Liu J. [Effect of magnetic beads auricular point sticking therapy on intrapartum fever in primipara with epidural labor analgesia]. Zhongguo Zhen Jiu. 2020 Nov 12;40(11):1159-63.
Mots-clés : Obstétrique