
Étude de cohorte prospective
Li H1, Lindberg V2, Zhu L1, Huang X1, Feng J1, Baak JPA3. Moxibustion Treatment, Alongside Conventional Western and Chinese Herbal Medical Therapies, May Improve Survival in Stage-IV Pulmonary Adenocarcinomas in a Dosage-Dependent Manner: A Prospective Observational Study With Propensity Score Analysis. Integr Cancer Ther. 2025 Jan-Dec;24:15347354251342739. [1] |
2Lintech AS, Kristiansand, Norway.
3Stavanger University Hospital, Norway.
L'étude
Contexte
Le cancer du poumon est la première cause de décès par cancer dans le monde. Le type histologique le plus fréquent est l’adénocarcinome, en particulier à un stade avancé. À ce stade IV le pronostic est très sombre : la survie médiane est estimée autour de 12 mois et moins de 20 % des patients survivent au-delà de cinq ans. En Chine la prise en charge combine généralement les traitements conventionnels (chimiothérapie à base de platine, thérapies ciblées en cas de mutation de l’EGFR) et la phytothérapie chinoise par voie orale. La moxibustion est également couramment utilisée en complément notamment pour améliorer la qualité de vie. Toutefois son impact sur la survie n’avait encore jamais été évalué de manière rigoureuse dans cette indication.
Objectif
Cette étude prospective observationnelle vise à évaluer si l’ajout de moxibustion, en complément des traitements conventionnels et de la phytothérapie orale, peut améliorer la survie des patients atteints d’un adénocarcinome pulmonaire de stade IV (métastasé).
Lieu
L’étude a été menée au Longhua University Hospital (Shanghai, Chine), établissement universitaire de référence en médecine traditionnelle chinoise.
Patients
Parmi les 998 patients consécutifs atteints d’un cancer bronchique non à petites cellules de stade IV, diagnostiqués entre 2009 et 2018, seuls ont été inclus ceux présentant un adénocarcinome pulmonaire nouvellement diagnostiqué, avec un score de performance de 0 à 1 (échelle utilisée pour évaluer l’état général du patient et sa capacité à mener des activités quotidiennes). Ont été exclus les patients décédés dans les trois mois suivant le diagnostic, ceux refusant les traitements médicaux, ceux atteints d’un autre type histologique et ceux avec un score de performance égal ou supérieur à 2. La cohorte finale comprenait 412 patients.
Interventions
- Traitements pharmacologiques conventionnels. Les patients ont reçu, selon les cas, une chimiothérapie à base de platine (178 patients), une thérapie ciblée (92 patients) ou une association des deux (142 patients).
- Phytothérapie chinoise. Tous les patients ont reçu un traitement par plantes médicinales chinoises administré par voie orale, prescrit selon les principes de la médecine chinoise et adapté au cours du suivi en fonction des symptômes.
- Moxibustion. La moxibustion (séances de 15 à 20 minutes) pouvait être introduite en complément au cours du suivi. Au total 117 patients n’ont pas reçu de moxibustion, 239 en ont reçu de 1 à 4 séances, et 56 en ont reçu plus de 4.
Méthode
- Critère d’évaluation. La survie globale, mesurée entre le début du traitement et la date du décès ou de la dernière consultation, a été retenue comme principal critère d’évaluation. Ce critère permet d’apprécier l’effet global du traitement sur la durée de vie toutes causes confondues. Le suivi a été conduit jusqu’à 120 mois.
- Méthode d’analyse. L’analyse a porté sur la médiane de survie et sur la survie moyenne restreinte à 36 mois, permettant d’évaluer la durée de vie moyenne observée sur une période fixe.
- Méthodes statistiques. Les analyses ont utilisé le modèle de régression de Cox pour identifier les facteurs associés à la survie. Pour corriger les déséquilibres entre groupes, des méthodes d’ajustement par score de propension ont été appliquées (appairage et pondération par la probabilité inverse du traitement).
Résultats
- L’ajout de la moxibustion prolonge la survie médiane dans les deux principaux schémas thérapeutiques :
- Chez les patients traités par chimiothérapie à base de platine, la survie médiane était de 20,0 mois ; elle passait à 32,0 mois en cas d’ajout de moxibustion.
- Chez ceux recevant une thérapie ciblée seule, la survie médiane atteignait 33,0 mois ; elle progressait jusqu’à 40,0 mois lorsque la moxibustion était administrée à plus de 4 reprises.
Dans tous les cas, les différences étaient statistiquement significatives (p < 0,05).
- La survie moyenne restreinte à 36 mois (restricted mean survival time, RMST — définie comme l’espérance de vie calculée jusqu’à un horizon temporel prédéfini) confirmait cet avantage : les patients ayant reçu plus de 4 séances de moxibustion en complément d’une thérapie ciblée présentaient un gain moyen de 6,2 mois par rapport à ceux traités par thérapie ciblée seule (p = 0,01).
- L’analyse multivariée montrait un effet dosage-dépendant de la moxibustion (p = 0,0004).
- Ces résultats restaient significatifs après ajustement des covariables initiales par analyse par score de propension, combinant un appariement (matching) et une pondération par probabilité inverse du traitement (IPTW), ce qui renforce la robustesse des conclusions.

1 à 4 séances
plus de 4 séances
Conclusions des auteurs
La moxibustion pourrait améliorer la survie des patients atteints d’un adénocarcinome pulmonaire de stade IV de manière dose-dépendante, en complément des traitements conventionnels. Des essais cliniques randomisés sont nécessaires pour confirmer cet effet.
Commentaires
Une collaboration sino-norvégienne
L’étude résulte d’une collaboration sino-norvégienne articulée entre une production clinique assurée en Chine (Longhua Hospital, Shanghai) et une contribution méthodologique apportée par des chercheurs norvégiens. La conception a été assurée par Hegen Li et Jan P. A. Baak, professeur à l’Université de Bergen, spécialiste en pathologie et en essais cliniques, qui mentionne dans ses titres un master universitaire en médecine chinoise (MScTCM). Hegen Li a supervisé l’ensemble du recueil des données cliniques, organisé le suivi des patients et coordonné le travail de l’équipe médicale chinoise. L’analyse statistique a été réalisée par Veronika Lindberg statisticienne spécialisée en analyse de données multivariées.
Dans le contexte d’une étude observationnelle sans randomisation, l’expertise mobilisée — en particulier l’utilisation du score de propension et des modèles multivariés — était particulièrement adaptée pour ajuster les comparaisons, limiter les biais de sélection et renforcer la validité des résultats (encadré).
Dans un essai contrôlé randomisé, les patients sont répartis au hasard entre les groupes ce qui garantit leur comparabilité initiale. Cette méthode permet d’estimer l’effet causal du traitement en minimisant les biais de confusion.
Dans une étude observationnelle cette répartition aléatoire n’existe pas. Pour limiter les biais qui en résultent, les chercheurs peuvent utiliser des méthodes telles que le score de propension. Ce score estime, pour chaque patient, la probabilité d’avoir reçu un traitement donné en fonction de ses caractéristiques cliniques. On peut ensuite appairer les patients entre les groupes selon un score similaire, ou pondérer les résultats en conséquence. Ce procédé vise à rendre les groupes comparables comme s’ils avaient été constitués par tirage au sort et à limiter l’effet de facteurs extérieurs (appelés facteurs de confusion) sur les résultats. Dans l’étude de Li et al. (2025), les patients ont été appariés notamment selon l’âge, le sexe, l’état général (score ECOG), les antécédents tabagiques, les comorbidités et le type de traitement anticancéreux reçu.
Les modèles multivariés, quant à eux, permettent d’ajuster les résultats sur plusieurs variables pronostiques à la fois. Par exemple, si le groupe traité contient une plus forte proportion de patients jeunes ou en meilleur état général, ces caractéristiques peuvent être prises en compte dans le modèle statistique. Cela aide à distinguer l’effet propre du traitement de celui des autres variables associées.
En combinant ces approches les chercheurs renforcent la validité des comparaisons effectuées. Bien que ces méthodes ne remplacent pas la rigueur d’un essai contrôlé randomisé, elles constituent des outils utiles pour explorer des pistes de recherche à partir de données cliniques réelles.
De la qualité de vie à la survie globale
L’acupuncture est habituellement considérée en oncologie comme un outil de soins de support, visant à améliorer la qualité de vie et à soulager les symptômes associés au cancer ou à ses traitements : douleurs, neuropathies périphériques et nausées et vomissements chimio-induits, xérostomie, bouffées de chaleur, troubles du sommeil, fatigue, dyspnée, anxiété et dépression. Ces indications s’appuient sur un ensemble solide de données probantes et font l’objet de recommandations convergentes au niveau international [2].
Dans ce cadre bien établi l’impact de l’acupuncture sur la survie globale n’est généralement pas envisagé. L’étude de Li et al. (2025) introduit à cet égard un déplacement important en suggérant une relation dose-effet entre l’intensité de la moxibustion et l’allongement de la survie médiane. L’amplitude de l’effet observé, remarquable dans un contexte aussi péjoratif que celui d’un adénocarcinome pulmonaire de stade IV, justifie à lui seul une attention particulière. Ces résultats, issus d’une étude observationnelle avec appariement sur score de propension, doivent toutefois être interprétés avec les réserves méthodologiques propres à ce type de dessin ; ils appellent à être confirmés par des essais contrôlés randomisés.
L'essentiel à retenir
Une étude de cohorte prospective sino-norvégienne suggère que l’ajout de moxibustion à un traitement anticancéreux standard (chimiothérapie à base de platine et/ou thérapie ciblée, plus phytothérapie chinoise) pourrait améliorer significativement la survie médiane chez des patients atteints de cancer du poumon de stade IV.
L’effet observé semble suivre une relation dose-dépendante, mais ces résultats doivent être confirmés par des essais contrôlés randomisés rigoureux.
Ces données préliminaires ouvrent une piste de recherche sur un effet potentiel de l’acupuncture-moxibustion au-delà de son rôle habituel dans les soins de support.
Dr Johan Nguyen
Références
- Li H, Lindberg V, Zhu L, Huang X, Feng J, Baak JPA. Moxibustion Treatment, Alongside Conventional Western and Chinese Herbal Medical Therapies, May Improve Survival in Stage-IV Pulmonary Adenocarcinomas in a Dosage-Dependent Manner: A Prospective Observational Study With Propensity Score Analysis. Integr Cancer Ther. 2025 Jan-Dec;24:15347354251342739. https://doi.org/10.1177/15347354251342739 🔓
- Nguyen J. Progrès récents de l’acupuncture en oncologie. Acupuncture Preuves & Pratiques. Janvier 2025. https://gera.fr/lacupuncture-en-oncologie/ 🔓
Mots-clés : Oncologie - Pneumologie