
Étude clinique en médecine vétérinaire
Kawaguchi H1, Ijiri M2, Sato M3, Kanno C1, Miura H1, Ono HK1, Fujimoto Y2, Matsuo T2. Effects of acupuncture treatment through acupoints in ears on transport stress in domestic pigs. Transl Anim Sci. 2025 Apr 29;9:txaf030. [1] |
2Joint Faculty of Veterinary Medicine, Kagoshima University, Kagoshima, Japan.
3Department of Surgery, Kyoto University Graduate School of Medicine, Kyoto, Japan.
L'étude
Contexte
Les porcs de race locale Amami-Shimabuta, élevés sur l’île d’Amami-Oshima à plus de 400 km au sud-ouest du Japon continental, doivent être transportés pendant environ 13 heures avant abattage. Ce transport longue distance constitue une source majeure de stress avec un impact avéré sur le bien-être animal et la qualité des carcasses. L’acupuncture est envisagée comme méthode non médicamenteuse pour atténuer ce stress. Toutefois l’usage d’aiguilles métalliques classiques soulève des problèmes de conformité avec les normes de sécurité sanitaire des aliments du type HACCP. Pour surmonter cette contrainte l’équipe japonaise a mis au point des aiguilles biodégradables à base d’amidon, compatibles avec les exigences de sécurité alimentaire et adaptées à un usage opérationnel en élevage.
Objectifs
Évaluer les effets de l’acupuncture au point erjian sur le stress de transport chez les porcs domestiques, en comparant des aiguilles en acier inoxydable et des aiguilles biodégradables en amidon avec une attention particulière portée aux marqueurs biologiques de stress et aux anomalies viscérales à l’abattage.
Méthodes
Trois expériences ont été menées :
- Sécurité : application d’aiguilles en amidon sur 4 miniporcs avec suivi clinique pendant 2 semaines.
- Étude principale : 34 porcs répartis en trois groupes : contrôle, acupuncture avec aiguilles inox (Pyonex 0.2 v 1.5 mm) ou avec aiguilles en amidon (figure 1), les aiguilles restant en place jusqu'à l'abattage. Des analyses sanguines ont évalué les taux de cortisol, noradrénaline, d-ROMs (derivatives of Reactive Oxygen Metabolites, indicateur du stress oxydatif) et BAP (Biological Antioxidant Potential, indicateur de la capacité antioxydante) ainsi que d’autres marqueurs biochimiques.
- Inspection post-mortem : évaluation macroscopique des viscères (digestif, pancréas, cœur) à l’abattoir comparée à un groupe témoin de 89 porcs.
Résultats
- Tolérance : aucune anomalie locale avec les aiguilles en amidon qui se résorbent spontanément.
- Marqueurs de stress : par rapport au groupe contrôle, baisse du cortisol (−17 %) et de la noradrénaline (−26 %), avec une amélioration du ratio BAP/d-ROMs (+62 %).
- Anomalies viscérales : réduction des lésions pancréatiques (0 % contre 12 % dans le groupe contrôle) ainsi que des atteintes digestives et cardiaques.
- Les aiguilles en amidon présentent une efficacité comparable à celle des aiguilles métalliques avec un effet plus marqué sur la capacité antioxydante.
Conclusions
L’acupuncture au point erjian avec des aiguilles biodégradables compatibles HACCP réduit significativement le stress de transport chez les porcs domestiques et améliore les indicateurs de bien-être animal. Cette méthode s’adapte particulièrement aux filières insulaires confrontées à de longs trajets de transport.
Commentaires
Cette étude japonaise exploratoire vise à répondre à un problème bien identifié dans la filière porcine : le stress lié au transport avec ses conséquences sur le bien-être animal et la qualité de la viande. Elle propose d’évaluer une solution innovante — l’utilisation d’aiguilles transdermiques en amidon — dans un protocole limité, adapté à des conditions de terrain.
Une première tentative documentée d’application de l’acupuncture pour réduire les effets du stress d’abattage chez le porc remonte aux années 1980 dans une étude norvégienne utilisant l’aquapuncture au point yintang. Mais les résultats n’avaient pas montré d’effet significatif (Braathen 1985 [2]) .
Une trajectoire de recherche vétérinaire
L’étude analysée s’inscrit dans une trajectoire de recherche menée par Hiroaki Kawaguchi, chercheur à l’École de médecine vétérinaire de l’Université de Kitasato.
La première publication de l’équipe, en 2016 [3], portait sur le traitement par aiguille à demeure au point erjian chez 11 chiens (figure 3) souffrant d'un mal des transports (vomissements, salivation, apathie). Tous les animaux ont présenté une disparition ou une nette amélioration des symptômes sans effet indésirable observé. Ce protocole, simple et non invasif, constituait une alternative crédible aux traitements médicamenteux classiques.
En 2023, les auteurs ont transposé ce protocole au modèle porcin standardisé du microminiporc (microminipig) afin d’en évaluer les effets dans un cadre expérimental contrôlé [4]. Après un transport de six heures plusieurs biomarqueurs physiologiques ont été mesurés : cortisol, SAA (protéine amyloïde sérique A), acides gras libres, glucose, d-ROMs (indicateur de stress oxydatif) et BAP (indicateur de capacité antioxydante). Les résultats ont montré une réduction du stress oxydatif et de la réponse inflammatoire chez les animaux traités par acupuncture. De manière notable, aucune diarrhée post-transport n’a été observée dans ce groupe (0 %), contre 25 % dans le groupe contrôle. Ces données ont renforcé la pertinence clinique du protocole et ouvert la voie à une application sur des animaux d’élevage dans des conditions réelles.
Le point erjian chez l'homme
Erjian est un point curieux hors méridien, décrit dès la dynastie Tang (618–907) par Sun Simiao dans son traité d’ophtalmologie Yinhai jingwei (銀海精微) [5]. Il témoigne de l'utilisation très ancienne de points auriculaires dans la tradition médicale chinoise. La description moderne du point est présentée à la figure 4.
Technique : Puncture perpendiculaire de 0,1 à 0,2 pouce ou saignée à l'aiguille triangulaire. Moxibustion possible.
Indications : Rougeur, gonflement et douleur des yeux, maladies fébriles, taie cornéenne.
Le point erjian chez le porc
Le point utilisé chez le porc est considéré comme l’équivalent topographique et fonctionnel du point erjian chez l’homme avec lequel il partage son nom et une localisation relative à l’apex du pavillon. Les indications se recoupent, notamment dans les affections fébriles, et la technique de saignée ponctuelle est couramment utilisée dans les deux cas.
Dans les descriptions vétérinaires le point n’est pas situé directement à l’extrémité du pavillon mais environ 2 à 3 cm en dessous, sur la face latérale de l’auricule, au niveau des ramifications superficielles de la veine auriculaire postérieure (figure 4). Il est ainsi décrit comme une zone vasculaire pouvant inclure trois sites de ponction. Le point est d’ailleurs désigné, dans certaines nomenclatures, non pas par erjian, mais par xueyin (血印), littéralement « marque de sang » (cf. tableau, [6-9]).
▲ aiguille simple ou aiguille de feu ● saignée ■ manipulation de l’aiguille
Auteurs | Beijing Agricultural University (1988) | Kao & Kao (1976) | Liao & Nguyen Van Nghi (1976) | Rubin (1976) |
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Nom | Erjian (耳尖) "Ear tip" Point n°2 | Xueyin (血印) "Blood seal" Point n°2 | Erjian (耳尖) "Apex de l'oreille" Point n°2 | Xueyin (血印) "Empreinte vasculaire" Point n°2 |
Localisation | Sur les trois branches de la veine auriculaire postérieure, à 2 cm de la pointe ; trois points par oreille | Sur le vaisseau sanguin à la face postérieure de la pointe de l’oreille | Sur les veines du dos des oreilles, à 33 mm du bord ; trois points par oreille | Face postérieure de l’oreille, au tiers supérieur de sa partie moyenne |
Technique | Saignée | Saignée à l’aide d’une petite aiguille triangulaire, orientée parallèlement au vaisseau ; percer et laisser s’écouler le sang | Piquer les veines pour obtenir 50 ml de sang | Aiguille triangulaire ; enfoncer et retirer plusieurs fois jusqu’à faire nettement saigner |
Indications | Coup de chaleur, rhume, fièvre, intoxication alimentaire, indigestion, gastro-entérite, pneumonie | Coup de chaleur, intoxication, grippe, pneumonie aiguë, diarrhée, maladies fébriles | Coup de soleil, rhume, douleurs abdominales, fièvres, empoisonnements | Insolation, irritabilité excessive, inflammation des intestins, impatience sexuelle |
Notes | — | Source : Veterinary Acupuncture and Moxibustion, Shanghai, 1972 | Source chinoise non précisée | Source chinoise non précisée |
Anatomie comparée
Chez l’homme le point erjian est classiquement situé au sommet du pavillon. Toutefois, si l’on déplie l'ourlet de l’hélix, il se retrouve alors sur la face postérieure, en dessous du point le plus haut de l’oreille, ce qui tend à rapprocher sa localisation de celle décrite chez le chien ou le porc.
Cette analogie topographique ne doit cependant pas masquer une différence anatomique plus fondamentale. Chez la plupart des mammifères l’oreille se termine par une pointe saillante plus ou moins bien définie, souvent mobile, qui joue un rôle dans l’orientation auditive. Une telle structure est absente chez l’homme. Le tubercule de Darwin, petite excroissance cartilagineuse située sur le bord postéro-supérieur de l’hélix, en constitue le vestige embryologique (figure 6). Environ un quart de la population européenne présenterait un tubercule de Darwin dont la forme et la position sur l’hélix sont très variables d’un individu à l’autre.
Cette divergence morphologique suggère que les correspondances entre points d’acupuncture chez l’homme et l’animal ne relèvent pas d’une stricte homologie anatomique mais d’une analogie fonctionnelle établie dans un cadre clinique et pragmatique.
Figure 6. De l’apex auriculaire au tubercule de Darwin.Chez le macaque, l’oreille se termine par une pointe saillante bien définie, mobile et impliquée dans l’orientation auditive. Chez l’humain, elle est remplacée par une petite excroissance cartilagineuse, le tubercule de Darwin, interprété comme un vestige morphologique de cette structure ancestrale. La comparaison illustre un décalage topographique entre le sommet visible de l’oreille humaine et l'apex auriculaire typique des autres mammifères.L'essentiel à retenir
Afin de concilier simplicité d’utilisation et conformité aux normes sanitaires de l’élevage une aiguille à demeure biodégradable en amidon a été mise au point.
Son application au point erjian chez le porc diminue le stress de transport et les troubles associés avec un effet attendu sur le bien-être animal et les critères de qualité de la viande.
Le champ vétérinaire offre un point de vue décentré sur l’acupuncture propice à interroger ses modalités d’usage comme ses bases théoriques.
Dr Johan Nguyen
Références
- Kawaguchi H, Ijiri M, Sato M, Kanno C, Miura H, Ono HK, Fujimoto Y, Matsuo T. Effects of acupuncture treatment through acupoints in ears on transport stress in domestic pigs. Transl Anim Sci. 2025 Apr 29;9:txaf030. https://doi.org/10.1093/tas/txaf030 🔓
- Braathen OS, Thoresen A, Froystein T. Aquapuncture chez les porcs pour la réduction de l’incidence des viandes de stress. Rev Acupunct Vétérinaire. 1985;(23–24).
- Kawaguchi H, Sasatake Y, Noguchi M, Akioka K, Miura N, Takeishi K, Horiuchi M, Tanimoto A. [Study of a novel acupuncture treatment for canine transportation stress]. J Jpn Vet Med Assoc. 2016;69:143–146. https://doi.org/10.12935/jvma.69.143🔓
- Ijiri M, Akioka K, Kitano T, Miura H, Ono HK, Terashima R, Fujimoto Y, Matsuo T, Yamato O, Kawaguchi H. Acupuncture Treatment Improves Transport Stress in Microminipigs Through the Acupoint in Ears. In Vivo. 2023 Sep-Oct;37(5):2100-2104. https://doi.org/10.21873/invivo.13307 🔓
- Zhang RF, Wu XF, Wang NS. Illustrated Dictionary of Chinese Acupuncture. Beijing: People’s Medical Publishing House; 1985.
- Veterinary Acupuncture. Beijing: Beijing Agricultural University Press; 1988.
- Kao FF, Kao JJ. Veterinary acupuncture. Am J Chin Med. 1976;4(1):87–98.
- Liao SJ, Nguyen Van Nghi. Acupuncture vétérinaire (4). Mensuel du Médecin Acupuncteur. 1976;37:279–84.
- Rubin M. Manuel d’acupuncture vétérinaire. Paris : Maloine; 1976.
Mots-clés : Médecine vétérinaire