175- Caractérisation protéomique des tissus périméridiens chez le mini-porc.

Étude expérimentale animale

L'étude

Objectif

Cette étude examine, par analyse protéomique, les tissus conjonctifs sous-cutanés — définis comme « canaux interstitiels » — le long du trajet attribué au méridien de l’estomac chez le mini-porc.

Méthode expérimentale

L’étude a été menée chez le mini-porc Bama, modèle reconnu pour sa proximité avec l’humain en termes de structure cutanée, là où les modèles murins présentent des limites quant à l’analyse anatomique.

Les points à faible impédance le long du méridien de l’estomac ont été localisés à l’aide d’un détecteur électronique, définissant un repère expérimental pour le méridien ciblé. Des injections de colorants (fluorescéine sodique ou bleu Alcian) ont permis de confirmer visuellement la présence d’un trajet interstitiel aligné sur ce parcours.

Des échantillons de tissu conjonctif sous-cutané ont ensuite été prélevés sur ce trajet et dans une zone adjacente située à 5 cm, considérée comme témoin (figure 1A) . Les protéines ont été extraites, digérées puis analysées par spectrométrie de masse en mode SWATH-MS, une technique quantitative à haut débit. L’analyse bioinformatique a permis d’identifier les protéines différentiellement exprimées, complétée par des validations ciblées (Western blot) pour certaines d’entre elles (figure 1B).

Figure 1. Protocole expérimental et stratégie d’analyse protéomique (Xiong F et al., 2025)

Le schéma de gauche (A) montre les sites de prélèvement chez le mini-porc. ● : zones à faible impédance (LIP, low-impedance points), interprétées comme marquant le trajet du méridien de l’estomac (ST, stomach) ; : échantillon prélevé sur ce trajet méridien (ST) ; : zone témoin adjacente (CT, control tissue), située à 5 cm, dans une région à impédance plus élevée (HIP, high-impedance point).

Le schéma de droite (B) décrit le protocole d’analyse. Les échantillons sont extraits, digérés, marqués puis analysés par spectrométrie de masse. L’analyse bioinformatique permet ensuite d’identifier les protéines exprimées différemment entre les deux zones, dans le but de caractériser les spécificités biologiques du tissu interstitiel associé au trajet périméridien.

Résultats

L’analyse protéomique a mis en évidence 72 protéines exprimées différemment entre les tissus prélevés sur le trajet périméridien de l’estomac (ST) et les tissus témoins adjacents (CT) : 37 étaient surexprimées dans les échantillons ST, et 35 sous-exprimées.

• Protéines surexprimées : Il s’agissait principalement de protéines structurelles de la matrice extracellulaire, notamment des collagènes (COL3A1, COL6A1, COL6A3, COL6A6, COL12A1, COL14A1) et des protéoglycanes (DCN, BGN, FMOD). Ces protéines assurent l’organisation et la cohésion des fibres de collagène, suggérant une structure tissulaire particulière dans les zones méridiennes.
• Protéines sous-exprimées : Les protéines sous-exprimées comprennent surtout des enzymes intracellulaires impliquées dans des fonctions métaboliques (GOT1, AK1, FBP2) ou antioxydantes (PRDX6, GPX1). Cela indique un profil fonctionnel distinct des tissus adjacents.
• Signalisation calcique : On note la sous-expression de la protéine ANXA6, impliquée dans la signalisation calcique. Cette molécule est fréquemment associée à la transmission des effets de l’acupuncture au niveau cellulaire.
• Pathologies associées : La majorité des protéines différentiellement exprimées sont associées à des pathologies digestives, ce qui renforce la correspondance fonctionnelle entre le méridien de l’estomac et les troubles gastro-intestinaux. Certaines sont également liées à des pathologies musculo-squelettiques.

Conclusions des auteurs

L’étude montre que les tissus interstitiels situés le long du méridien de l’estomac chez le mini-porc présentent un profil protéomique distinct. L’enrichissement en protéines structurelles et la régulation de certaines fonctions métaboliques suggèrent que ces zones pourraient constituer un support biologique concret des méridiens

Commentaires

Le modèle des lignes de moindre impédance

L’étude soulève deux problématiques méthodologiques. Premièrement elle repose sur la transposition, chez le mini-porc, d’un trajet méridien décrit chez l'homme. Deuxièmement elle associe à ce trajet reconstruit une ligne de faible impédance identifiée par détection électrophysiologique. Ces deux opérations — projection interspécifique et repérage instrumental —reposent sur une démarche expérimentale développée dans des travaux antérieurs.

Chez l’humain, Xie et al., 1989 [2] ont montré que chez l'homme les trajets des sensations propagées induites par stimulation cutanée coïncidaient avec certaines lignes de faible impédance. Dans le prolongement, Mu et al., 1993 [3] ont transposé cette démarche au mini-porc, en identifiant des tracés bilatéraux comparables, électrophysiologiquement repérables, dont la disposition paraît s’aligner sur celle des méridiens humains. Ce modèle a ensuite été étendu à d’autres espèces animales — rat, lapin, chien, singe (Yu et al., 1994 [4]).

Ces données suggèrent l’existence d’un phénomène biologique commun, exprimé sous forme de structures électrophysiologiquement repérables chez différentes espèces. Ces lignes ont été proposées comme base opératoire pour l’étude des méridiens. Dans ce cadre, le mini-porc s’est imposé comme modèle expérimental privilégié, en raison de la proximité anatomique de sa peau, de ses tissus conjonctifs et de sa morphologie générale avec ceux de l’humain.

Ce modèle constitue une approche légitime pour étudier les méridiens, à condition de rester conscient de ses limites méthodologiques. Il s’inscrit dans une continuité expérimentale qui permet d’explorer les corrélats biologiques des trajets méridiens.

Corrélats biologiques des méridiens

En recherche biomédicale, un corrélat biologique désigne une manifestation mesurable et reproductible associée à un phénomène fonctionnel ou pathologique, sans pour autant prouver un lien de causalité direct. Par exemple, les corrélats neuronaux de la conscience correspondent à des activités cérébrales systématiquement observées lors des états conscients. Ils montrent une association mais pas une cause directe. Ce concept permet d’identifier des marqueurs ou des structures observables pour étudier un phénomène sans en connaître tous les mécanismes.

Dans le cadre de l’étude des méridiens, les lignes de moindre impédance électrique constituent un exemple de corrélat électrophysiologique. Ces lignes, détectables par des instruments spécifiques, ont été décrites comme stables, bilatérales et reproductibles chez plusieurs espèces. Elles sont associées au concept fonctionnel de méridien offrant ainsi un objet mesurable et concret pour la recherche scientifique.

L’étude protéomique qui leur est consacrée vise à approfondir cette approche, en cherchant à identifier un corrélat biomoléculaire au sein de ces structures électrophysiologiques. Cette démarche constitue une succession d’analyses, explorant progressivement les différents niveaux du concept de méridien.

Acupuncture et études omiques

Les approches omiques constituent des outils de recherche récents et innovants, permettant d’explorer en profondeur les mécanismes biologiques, à la fois au niveau cellulaire et à l’échelle de l’organisme. Elles regroupent des disciplines telles que la génomique (analyse des gènes), la transcriptomique (étude des ARN messagers), la protéomique (analyse des protéines) ou encore la métabolomique (étude des petites molécules et métabolites). Ces techniques connaissent un essor important dans le champ de l’acupuncture où elles sont mobilisées pour étudier ses mécanismes d’action dans diverses pathologies ou encore pour caractériser les signatures métaboliques associées à certains points d’acupuncture [5, 6, 7].

L'étude rapportée est la toute première étude omique, via la protéomique, à aborder la question des méridiens.

Protéomique et méridiens

L’analyse protéomique différentielle révèle une signature moléculaire propre aux tissus périméridiens, distincte de celle des tissus adjacents, en faveur d’une organisation biologique spécifique.

• Organisation structurale interstitielle. La surexpression de protéines de la matrice extracellulaire (collagènes types III, VI, XII, XIV et protéoglycanes SLRP) suggère l’existence d’un réseau interstitiel organisé, distinct des tissus environnants. Cette organisation structurale renforce l’hypothèse d’un système de transport interstitiel spécialisé et dirigé organisé le long de fibres conjonctives longitudinales [8].

• Profil fonctionnel. Le profil protéomique met en évidence une sous-expression d’enzymes impliquées dans les voies métaboliques énergétiques et antioxydantes. Ce profil pourrait refléter une adaptation métabolique spécifique des tissus périméridiens, possiblement liée à une fonction de régulation ou de relais plutôt qu’à une activité cellulaire intense. Il fait écho à plusieurs observations expérimentales décrites dans ces zones — température locale accrue, émission photonique ultra-faible, microcirculation renforcée — dont la validité et la portée biologique font encore débat.

• Signal calcique. La surexpression d’ANXA6, protéine liant le calcium, renforce l’hypothèse d’une implication majeure du signal calcique dans les effets physiologiques de l’acupuncture. Cette hypothèse est étayée par plusieurs données expérimentales rapportées dans la littérature, telles que l’élévation transitoire du calcium intracellulaire au niveau des points stimulés, la propagation ionique observée le long de trajets cutanés attribués aux méridiens et la diminution des effets physiologiques de l’acupuncture après administration d’antagonistes des canaux calciques.

• Spécificité pathologique. Un nombre significatif de protéines surreprésentées dans les tissus périméridiens est associé à des pathologies gastro-intestinales telles que les troubles fonctionnels digestifs, les inflammations chroniques ou certaines atteintes muqueuses.
  Ce profil moléculaire renforce l’hypothèse d’une corrélation fonctionnelle entre le méridien et l’organe auquel il est traditionnellement associé. Il suggère que les tissus périméridiens pourraient constituer une interface biologique sensible aux désordres digestifs et potentiellement impliquée dans leur modulation sous l’effet d’une stimulation thérapeutique.

Ces interprétations doivent être comprises comme des hypothèses générées par l’analyse protéomique, non comme des preuves expérimentales directes.

L'essentiel à retenir

Dr Johan Nguyen

Références

Mots-clés : Méridiens