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172- Effet antipyrétique de la saignée aux points d’acupuncture

Dong S1, Xu MF2 , Li XH3, Zhang YX3, Robinson N4, Yang XX5, Cao HJ1. Bloodletting therapy to manage fever caused by infectious diseases: A systematic review of randomized controlled trials. Eur J Integr Med. 2025 Apr;75:102441. [1]
1 Centre for Evidence-Based Chinese Medicine, Beijing University of Chinese Medicine, Beijing, China
2 The First Affiliated Hospital of Beijing University of Chinese Medicine, Beijing, China
3 Beijing University of Chinese Medicine, Beijing, China
4 London South Bank University, London, UK
5 First Teaching Hospital of Tianjin University of Traditional Chinese Medicine, Tianjin, China

Introduction

La saignée au niveau des points d’acupuncture (saignée ponctuelle) est utilisée pour réduire la fièvre accompagnant les maladies infectieuses. Cette revue systématique vise à évaluer son efficacité et sa sécurité en comparaison avec les traitements conventionnels.

Méthodes

Une recherche systématique a été menée dans plusieurs bases de données afin d’identifier les essais contrôlés randomisés (ECR) comparant la saignée ponctuelle, seule ou en combinaison, à des traitements conventionnels. La qualité méthodologique a été évaluée à l’aide de l’outil Cochrane RoB 2.0 et la certitude des preuves gradée selon la méthode GRADE.

Résultats

Quatorze ECR ont été inclus, totalisant 1419 participants, répartis entre 3 essais chez l’adulte (204 participants), 10 essais chez l’enfant (1157 participants), et 1 essai mixte adulte/enfant (58 participants, non ventilés par âge). Les participants présentaient des affections infectieuses aiguës fébriles, principalement des infections virales ou des infections des voies respiratoires supérieures.

  • Chez l’adulte, la saignée ponctuelle, seule ou associée à un traitement médicamenteux, a permis d’augmenter la proportion de patients apyrétiques à 48 heures (+33 %, RR = 1,33 [1,04–1,72]) et de réduire le temps de disparition de la fièvre d’environ 8 heures (MD = –8,40 h [–15,76 à –1,04]).
  • Chez l’enfant, la saignée ponctuelle présente une efficacité antipyrétique comparable à celle de l’ibuprofène à 2 heures sans avantage clair en termes de proportion d’enfants apyrétiques à court terme. Lorsqu’elle est combinée au Tuina pédiatrique ou à la phytothérapie, elle n’augmente pas significativement le taux global de réponse mais permet de raccourcir le temps de disparition de la fièvre (–7,6 h) et d’accélérer le début de la défervescence (–1,5 h).
  • Concernant la sécurité, seuls deux essais rapportent explicitement l’absence d’effets indésirables et aucun suivi structuré n’a été mené rendant l’évaluation de la tolérance impossible, en particulier chez les enfants.
  • La qualité des preuves a été jugée très faible à faible en raison d’un risque élevé de biais, d’une absence d’aveugle, de tailles d’échantillons limitées, et d’une hétérogénéité des interventions.

Conclusion

Ces résultats suggèrent un intérêt potentiel de la saignée ponctuelle dans le traitement des états fébriles, en particulier chez l’adulte, mais des études mieux conduites sont nécessaires, notamment pour en évaluer la sécurité.

La technique de saignée ponctuelle est une technique classique de l'acupuncture décrite dès le Lingshu (encadré). Elle utilise l'aiguille triangulaire qui a pour fonction "de favoriser la libre circulation du qi et du sang dans les méridiens, de disperser la stase sanguine et d’éliminer la chaleur" et qui est indiquée dans les cas "d’obstruction des méridiens, de stase sanguine, de syndromes de plénitude-chaleur, tels que fièvre élevée, perte de conscience, maux de gorge, congestion ou tuméfaction localisée" (Cheng Xinnong 1987 [2]).

L'utilisation de la saignée ponctuelle dans les maladies fébriles est bien établie et l'étude vise à évaluer plus précisément son action antipyrétique.

Quatrième aiguille : fēng zhēn (鋒針)

Son corps est droit et tranchant ; son extrémité est modelée sur un zhāo [petite lame ou stylet de bronze]. Elle mesure un cun et six fen. Elle est utilisée pour disperser la chaleur et évacuer le sang.

Gravure extraite du Leijing tu yi (1624), supplément illustré au Leijing de Zhang Jiebin. Le texte reprend le Lingshu chap. I. Reproduction : Wellcome Collection, licence CC BY 4.0.

Les points de saignée

Dans les 14 ECR, la revue systématique identifie 8 points de saignée : l'apex de l'oreille (erjian), 4 points jing (11P, 1GI, 9MC, 1TR) et 3 points du dos (14VG, 13V, 12V). Les études peuvent utiliser un point unique ou des associations.

Les points et leur fréquence d'utilisation dans les dix essais contrôlés randomisés
(d’après Dong, 2025)

Dans l'analyse des différents points dans le traité de référence de Cheng Xinnong 1987, tous ont maladies fébriles ou fièvre dans leurs indications, mais la technique de saignée à l'aiguille triangulaire n'est pas mentionnée pour les 3 points du dos.

Les huit points à action antipyrétique mentionnés
Les localisations sont celles de WHO 2009, les techniques et indications sont celles mentionnées dans Cheng Xinnong 1987.

Erjian 耳尖

Localisation : Situé au point le plus élevé de l’oreille lorsqu’on replie le pavillon sur le tragus.

Technique : Puncture perpendiculaire de 0,1 à 0,2 pouce ou saignée à l’aiguille triangulaire. Moxibustion possible.

Indications : Rougeur, gonflement et douleur des yeux, maladies fébriles, taie cornéenne.

11P Shaoshang 少商

Localisation : Sur le pouce, du côté radial de la phalange distale, à 0,1 F-cun en arrière et en latéral par rapport à l’angle radial de l’ongle.

Technique : Puncture de 0,1 pouce ou saignée à l’aiguille triangulaire.

Indications : Maux de gorge, toux, asthme, épistaxis, fièvre, perte de conscience.

1GI Shangyang 商阳

Localisation : Sur l’index, du côté radial de la phalange distale, à 0,1 F-cun en arrière et en latéral par rapport à l’angle radial de l’ongle.

Technique : Puncture de 0,1 pouce ou saignée à l’aiguille triangulaire.

Indications : Maux de dents, mal de gorge, enflure submandibulaire, maladies fébriles sans sueur.

9MC Zhongchong 中冲

Localisation : Sur le majeur, au centre de l’extrémité du doigt ou à 0,1 F-cun en arrière de l’angle radial de l’ongle.

Technique : Puncture de 0,1 pouce ou saignée à l’aiguille triangulaire. Moxibustion possible.

Indications : Douleur cardiaque, aphasie, perte de conscience, maladies fébriles, convulsions, coup de chaleur.

1TR Guanchong 关冲

Localisation : Sur l’annulaire, côté ulnaire à 0,1 F-cun de l’angle de l’ongle.

Technique : Puncture de 0,1 pouce ou saignée à l’aiguille triangulaire. Moxibustion possible.

Indications : Maux de gorge, rougeur oculaire, langue raide, maladies fébriles.

14VG Dazhui 大椎

Localisation : Dans la dépression située sous le processus épineux de la septième vertèbre cervicale (C7), sur la ligne médiane postérieure.

Remarque 1 : En position neutre, la proéminence postérieure du cou correspond généralement à C7. Une flexion du cou facilite sa palpation.

Remarque 2 : Une légère rotation de C7 peut être perçue en tournant la tête cou fléchi.

Technique : Puncture oblique vers le haut de 0,5 à 1,0 pouce. Moxibustion possible.

Indications : Raideur de la nuque, paludisme, fièvre, fièvre vespérale, toux, asthme, rhume, épilepsie, douleurs dorsales.

12V Fengmen 风门

Localisation : Au niveau du bord inférieur du processus épineux de la deuxième vertèbre thoracique (T2), à 1,5 B-cun latéral de la ligne médiane postérieure.

Technique : Puncture oblique vers le haut de 0,5 à 0,7 pouce. Moxibustion possible.

Indications : Rhume, toux, raideur de la nuque, douleurs dorsales, fièvre, maux de tête.

13V Feishu 肺兪

Localisation : Au niveau du bord inférieur du processus épineux de la troisième vertèbre thoracique (T3), à 1,5 B-cun en latéral de la ligne médiane postérieure.

Technique : Puncture oblique vers le haut de 0,5 à 1,0 pouce. Moxibustion possible.

Indications : Toux, asthme, douleur thoracique, hémoptysie, fièvre vespérale, sueurs nocturnes.

Points d’application de l’aiguille triangulaire (Cheng Xinnong, 1987)
20 points sont cités, dont 10 indiqués dans la fièvre ou les maladies fébriles . Ces points sont majoritairement des points jing du membre supérieur. Les autres, sans mention de ces indications, sont situés essentiellement au niveau céphalique pour des pathologies locales. Parmi les 10 points à action sur la fièvre ou les maladies fébriles, 5 [] sont documentés par des essais contrôlés randomisés témoignant d’une continuité entre les pratiques et la recherche clinique.

Technique

La technique parait assez univoque :

  • Massage préalable systématique des points.
  • Instrument : aiguille triangulaire ou équivalent (10 ECR), association à ventouse (3 ECR), association fleur de prunier + ventouse (1 ECR). Les ventouses scarifiées sont appliquées aux points du dos (14VG, 12V et 13V).
  • Profondeur de puncture : 1 à 3 mm.
  • Quantité de sang extraite : 3 à 6 gouttes ou 2 à 5 mL.
  • Fréquence des séances : une séance quotidienne (9 ECR), deux séances par jour (1 ECR), fréquence modulée selon l’évolution clinique (1 ECR).
  • Durée du traitement : 1 jour (10 ECR), 2 jours (1 ECR), 3 jours (3 ECR).
Techniques
Saignée ponctuelle au erjian, ventouses scarifiées aux points du dos.
Techniques : saignée ponctuelle et ventouses

Pertinence clinique

  • La saignée ponctuelle constitue une pratique classique dans les états fébriles. Cette revue systématique montre que cette approche est documentée par plusieurs essais contrôlés randomisés chinois mais leur qualité méthodologique reste faible et les résultats hétérogènes.
  • La validité externe de ces résultats reste incertaine. L’intérêt clinique de la saignée ponctuelle pourrait néanmoins être envisagé dans certains contextes spécifiques tels qu’une limitation d’accès aux soins ou aux traitements médicamenteux ou une préférence du patient. Au-delà de son effet antipyrétique, la saignée ponctuelle pourrait également exercer une action plus générale sur l’affection causale.
  • Enfin la saignée ponctuelle présente une valeur heuristique en tant qu’objet d’étude, permettant d’interroger les mécanismes spécifiques de son action, sa distinction éventuelle d’une simple puncture, ainsi que ses relations avec les autres effets de l’acupuncture.

Clin d'œil historique

Les études cliniques contemporaines sur la saignée ponctuelle dans les états fébriles, en particulier lors d’infections respiratoires, croisent de manière inversée l’étude que Pierre-Charles-Alexandre Louis (1787-1872) consacra à la saignée dans la pneumonie il y a près de deux siècles — une étude devenue symbolique d’une médecine adossée aux faits plutôt que sur l’autorité des anciens (encadré).

Pierre-Charles-Alexandre Louis et la démonstration mathématique de l’inefficacité des saignées (1828)
Recherches sur les effets de la saignée dans plusieurs maladies inflammatoires.
Archives générales de médecine. 1828, série 1, n° 18.
Ce travail a été réédité en 1835 sous forme d’un volume augmenté incluant des réponses aux critiques suscitées par l’étude initiale.
Une étude emblématique dans l’histoire de la médecine
Dans son étude, Pierre-Charles-Alexandre Louis analyse rétrospectivement 78 cas de pleuropneumonie, tous traités par saignée, en comparant les issues selon le moment précoce ou tardif de l’intervention. Les résultats montrent une mortalité de 44 % chez les patients saignés dans les quatre premiers jours contre 25 % chez ceux saignés plus tardivement. Ces résultats ont été interprétés comme la démonstration de l’inutilité et de la dangerosité des saignées.
Louis se revendique d'une approche fondée sur ce qu’il nomme la « méthode numérique » — c’est-à-dire l’analyse chiffrée et comparative des résultats cliniques —, il entend ainsi soumettre les pratiques médicales à l’épreuve des faits. Cette démarche inédite, qui rompt avec l’autorité des doctrines et la force de la tradition, lui vaut d’être considéré comme l’un des précurseurs de la médecine fondée sur les preuves (Chemla 2012).
Une étude qui ne démontrait rien
Relue avec un regard actuel, cette étude, en fait, ne démontrait rien. Il s'agissait de cas rétrospectifs, tous traités par saignées sans plan thérapeutique défini, selon des modalités très variables — en nombre de séances, en volume, en technique (générale ou locale), et en moment d’application — et bien évidemment sans randomisation, ni insu évaluateur, ni analyse statistique.
En réalité, elle ne permet de tirer aucune conclusion fiable sur l’utilité de la saignée elle-même puisqu’elle n’en évalue pas directement l’effet mais seulement le moment de sa réalisation. Mais l'histoire de la médecine y a retenu une implacable démonstration mathématique (Chemla 2012, Brissot 2017).
Une portée symbolique forgée a posteriori
Il est indéniable que l’étude de Pierre-Charles-Alexandre Louis s’inscrit dans une volonté explicite de rupture méthodologique. Dès la première phrase, il affirme son intention d’opposer les faits à l’opinion établie et de soumettre les pratiques médicales à l’épreuve des nombres :
« Le résultat de mes recherches sur les effets de la saignée dans les inflammations est si peu d’accord avec l’opinion commune, que ce n’est pas sans une sorte d’hésitation que je me suis décidé à les exposer. »
L’ambition est juste et la démarche — celle d’une « méthode numérique » — marque une étape importante dans l’histoire de l’évaluation en médecine.
Mais si le principe était fondé, la méthode comme les résultats ne l’étaient pas. L’étude a pourtant été investie d’une portée symbolique, censée incarner le rejet d’une médecine fondée sur la tradition et l’autorité, au profit d’une rationalité fondée sur l’observation et la mesure.
C’est là tout le paradoxe de cette histoire : elle illustre un basculement d’un biais à un autre. D’un côté l’appel à l’histoire — qui accorde de la légitimité à une pratique en vertu de son ancienneté. De l’autre l’appel à l’innovation — qui valorise une démarche du seul fait de sa nouveauté, en rejetant les pratiques héritées. La saignée devient ainsi l’archétype d’un ancien régime médical et, son rejet, une affirmation de la rationalité moderne. C'est dans ce même cadre idéologique — ancien et moderne, dogme et preuve, héritage et progrès — que se placent les polémiques sur l'acupuncture.
Ironie de l’histoire : c’est bien la méthode numérique de Louis qui vient aujourd’hui légitimer des pratiques anciennes — acupuncture ou saignées sous d'autres formes que les siennes — en opposant, comme il le voulait déjà, les faits aux opinions. L'EBM ne préjuge simplement pas de l'ancienneté ou de l'origine d'une pratique.

Dr Claude Pernice & Dr Johan Nguyen

Références

  1. Dong S, Xu MF, Li XH, Zhang YX, Robinson N, Yang XX, Cao HJ. Bloodletting therapy to manage fever caused by infectious diseases: A systematic review of randomized controlled trials. Eur J Integr Med. 2025 Apr;75:102441. https://doi.org/10.1016/j.eujim.2025.102441🔓
  2. Cheng Xinnong. Chinese acupuncture and moxibustion. Beijing: Foreign Languages Press. 1987.
  3. WHO standard acupuncture point locations in the western pacific region. World Health Organization. 2009.
  4. Louis PCA. Recherches sur les effets de la saignée dans plusieurs maladies inflammatoires. Archives générales de médecine. 1828, série 1, n° 18. - Paris : Béchet jeune ; 321-6 https://www.biusante.parisdescartes.fr/histmed/medica/page?90165x1828x18&p=321
  5. Louis PCA. Recherches sur les effets de la saignée dans quelques maladies inflammatoires, et en particulier sur la pneumonie. Paris : J.-B. Baillière ; 1835. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k103986t🔓
  6. Chemla D, Abastado P. Pierre-Charles-Alexandre Louis : un pionnier de la médecine fondée sur les preuves. La Lettre du Cardiologue. 2012;(541):29–31.
  7. Brissot P. La saignée en médecine : entre illusion et vertu thérapeutiques. Bull Acad Natl Med. 2017 Apr–Jun;401(4–6):919–928. https://doi.org/10.1016/S0001-4079(19)30472-8 🔓

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Mots-clés : Maladies infectieuses


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